COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

SIXIÈME CONFÉRENCE
LE RECOURS À ROME ET SES SUITES
1822-1823

Principaux documents à consulter:

OM 1, pp. 259-291; OM 2, docc. 466, §§ 1-6; 551, §§ 6-10; 689; 718, §§ 22-24.

Les données fournies sur ces faits par le P. Colin à la fin de sa vie seront discutées à propos de la controverse qu'elles ont engendrée. Matériellement inexactes, elles peuvent difficilement être utilisées dans une reconstitution historique de ces événements décisifs.

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PREMIÈRES LETTRES À ROME

Les vicaires généraux n'autorisant les aspirants maristes ni à se réunir en communauté dans le diocèse ni à sortir de ce dernier (cf. 4e conférence), le seul espoir de voir se constituer la Société consistait dans un recours au Saint-Siège.

Assez tôt, semble-t-il, les aspirants maristes demandèrent à l'archevêché de pouvoir se rendre à Rome, ce qui n'eut pour résultat que de durcir l'opposition des vicaires généraux (cf. doc. 551, § 6).

On pensa alors à écrire.

Une première lettre fut emvoyée au pape Pie VII en février 1819 (cf. doc. 69, § 1) par un des douze aspirants, M. Gillibert, qui avait été un an à Rome comme secrétaire du cardinal Fesch de 1814 à 1815 et qui se flattait d'avoir gardé des connaissances là-bas (cf. doc. 689, § 1). Les intermédiaires en question firent-ils parvenir cette lettre au pape? On peut en douter. En tout cas, elle ne reçut aucune réponse et reste introuvable aujourd'hui.

En novembre 1819, sur le conseil de Mgr Bigex, évêque de Pignerol, on décida de s'adresser au préfet de la sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, le cardinal Pacca (cf. docc. 69, § 1 et 271, §§ 2-3). La lettre portait les signatures des deux abbés Colin et de M. Courveille (cf. doc. 689, § 2). Peut-être cette dernière fut-elle mise par les abbés Colin (cf. doc. 689, § 4). On se souviendra à ce propos que, entre Epercieux, où habitait M. Courveille, et Cerdon, il y a près de cent cinquante kilomètres par la route. La sacrée Congrégation renvoya à plus tard l'examen de l'affaire, sans doute en raison de la situation pendante de l'administration du diocèse de Lyon, et aucune réponse ne fut envoyée.

 

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LA LETTRE DU 25 JANVIER 1822

Vers la fin de 1821, on se préoccupa à Cerdon d'écrire de nouveau à Rome, mais cette fois directement au pape, toujours sur le conseil de Mgr Bigex (cf. docc. 68, § 1, et 271, § 3). M. Courveille fit le projet de lettre mais il apparut inutilisable et fut mis de côté par les abbés Colin (cf. doc. 689, c). Jean-Claude Colin refit donc un texte, d'accord avec son frère (cf. docc. 466, § 2, et 689, c).

Cette lettre, qui porte la date du 25 janvier 1822, est conservée aux archives vaticanes. C'est le doc. 69 de OM 1. Son examen permet d'affirmer:

1 ) qu'elle est écrite de la main de Pierre Colin;

2) qu'elle porte, quant au fond des idées et au style, la marque de Jean-Claude Colin, qui en utilisera des paragraphes entiers dans ses suppliques postérieures ( cf. docc. 269; 294; etc.);

3 ) qu'elle porte trois signatures d'allure différente: « J.C. Courveille s.p.g.; Colin sacerdos » (signature de Pierre); « Colin sacerdos » (signature de Jean-Claude). Deux expertises graphologiques, l'une du docteur Locard, expert en criminologie des tribunaux français, et l'autre du professeur Battelli, directeur de la Scuola vaticana di paleografia, ont établi l'authenticité de la signature de M. Courveille. Les sigles qui accompagnent cette dernière et dont le principe d'interprétation a été trouvé récemment, signifient sans doute possible: « s(u)p(érieur) g(énéral) ».

A côté des signatures, la lettre porte la mention: « Ex oppidulo Cerdon..., die 25a Januarii anni 1822 ». Il est certain, cependant, que les signataires ne se trouvaient pas tous les trois en ce lieu à cette date, car le 25 janvier M. Courveille faisait une inhumation à Epercieux, sans qu'il lui fût possible de gagner Cerdon dans la journée (cf. doc. 70). Quant à savoir s'il signa avant ou après cette date, à Cerdon ou ailleurs, on n'a pas de moyen de le déterminer, mais aucune de ces diverses possibilités n'est à exclure. C'est un libraire de Lyon, M. Rusand, qui se chargea de faire parvenir la lettre à Rome (cf. doc. 689, § 3).

Sur le contenu de la lettre, voir texte et analyse en OM 1, doc. 69.

 

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RÉPONSE DU 9 MARS 1822

On ne sait pas à quelle date exactement la lettre du 25 janvier confiée aux bons soins de M. Rusand arriva à Rome. Elle dut être ouverte à la Secrétairerie d'Etat. Comme il s'agissait d'une affaire française, son examen fut confié à Mgr Sala, qui en était un bon connaisseur.

Ce dernier rédigea un votum prudent ( doc. 72 ). On louerait le but de l'oeuvre, sans pourtant porter de jugement à son sujet avant d'avoir eu en main, selon l'usage, règles et lettres testimoniales. On recommanderait à M. Courveille ou à un de ses compagnons d'aller conférer de tout avec le nonce.

Ce votum fut approuvé par le pape dans l'audience du 5 mars (cf. doc. 73), et le 9 mars la réponse rédigée dans le sens indiqué était signée par le secrétaire aux lettres latines, Mgr Mazio. C'est le doc. 74, auquel on voudra bien se reporter.

Cette réponse fut adressée au premier des trois signataires, M. Courveille, à Cerdon, lieu de provenance de la lettre du 25 janvier. Ces indications, qui figurent en toutes lettres sur la minute des archives vaticanes (cf. OM 1, fig. 11), durent être portées sur l'enveloppe, tandis que la quatrième page de la lettre recevait le texte de la suscription latine: « Dilecto filio cognominato Courveille ».

N.B. - Cette lettre papale du 9 mars 1822 est connue dans la Société sous le nom de bref laudatif. En réalité, il ne s'agit pas d'un bref au sens propre mais d'une lettre latine, et ce document, où l'on se refuse expressément à porter un jugement sur l'oeuvre elle-même, ne correspond guère au decretum laudis introduit au dix-neuvième siècle dans la praxis de la sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, lequel se base sur une enquête et des lettres testimoniales. Par analogie, cependant, ce document, premier acte pontifical concernant la Société, passe pour notre decreto di lode (cf. Annuario pontificio).

Arrivée à Cerdon, où elle était adressée, l'enveloppe contenant cette réponse pontificale et portant le nom de « M. Courveille, prêtre », fut remis non à M. Courveille, inconnu dans la localité, mais au curé. Après être allés prier à l'église, les deux abbés Colin décachetèrent la lettre (cf. doc. 689, § 6).

A une date non précisée, M. Courveille fut mis au courant de l'arrivée de cette réponse, dont il était le principal destinataire. Il en prit possession, en tira lui-même des copies calligraphiées (cf. OM 1, p. 269) mais donna au document une publicité si imprudente que les abbés Colin s'arrangèrent pour le lui retirer et ne pas le lui redonner ( cf. doc. 689, § 7). Ce retrait de la pièce eut sans doute comme prétexte la nécessité pour Jean-Claude Colin de produire au nonce l'original de la lettre pontificale lors de son voyage à Paris dont il va être question.

 

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PREMIER VOYAGE DE J.- C. COLIN À PARIS

La lettre de Pie VII engageait M. Courveille ou l'un de ses deux associés à aller trouver le nonce à Paris. Ce fut Jean-Claude Colin qui s'y rendit. Ce choix, qui le met pour la première fois extérieurement en évidence, semble s'expliquer par deux raisons convergentes:

d'une part, c'était lui qui avait rédigé la règle qu'il s'agissait de présenter et écrit la lettre au pape. Nul mieux que lui ne pouvait exposer le fond de l'affaire au nonce;

d'autre part, en tant que vicaire n'ayant pas directement charge d'âmes, il pouvait plus facilement que son frère et M. Courveille, tous deux curés, quitter sa paroisse durant quelque temps.

On peut penser que, au cours de discussions avec M. Courveille qui ne durent pas aller sans difficultés (cf. doc. 729), les deux abbés Colin réussirent à convaincre ce dernier que c'était le vicaire de Cerdon qui était le mieux désigné pour faire le voyage.

Pour obtenir la permission de faire le voyage, l'abbé Jean-Claude Colin présente le "bref" papal aux vicaires généraux, dont il ne modifie pas l'attitude (cf. docc. 466, § 3; 551, § 10). Il écrit alors avec son frère à Mgr Bigex et, sur le conseil de ce dernier (cf. doc. 76), il passe outre aux réticences des vicaires généraux et se rend à Paris.

En quinze jours, du 20 novembre au 4 décembre 1822, semble-t-il (cf. 466, § 5), l'abbé Colin fait le voyage de la capitale. Il y voit le nonce, Mgr Macchi, auquel il remet la règle (cf. doc. 82, §§ 1-2); Mgr de Quelen, archevêque de Paris ( cf. docc. 442; 599 ) ; Mgr Frayssinous, grand maître de l'Université ( cf. doc. 428 ) ; M. Duclaux, supérieur général de Saint-Sulpice, auquel il remet aussi une copie de la règle ( cf. doc. 819, § 45 ). Au retour, il rend compte de son voyage aux vicaires généraux (cf. doc. 82, § 4).

 

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DEUXIÈME VOYAGE DE J.-C. COLIN A PARIS (PRINTEMPS 1823)

 

De retour à Cerdon, l'abbé Colin examine certains points de règle sur lesquels le nonce lui avait fait quelques difficultés et écrit à ce dernier à ce sujet (cf. doc. 82).

Au printemps, il retourne à Paris. Les Sulpiciens avaient fait examiner la règle par M. Boyer, un de leurs meilleurs théologiens. Son rapport, qui tenait en une page, était très élogieux pour le fond mais doutait de la possibilité de faire observer par un grand nombre ces règles, « faites plus pour des anges que pour des hommes ». Ce jugement cadre bien avec le caractère assez idéal et théorique des deux fragments rédigés en 1823, seul reste que nous ayons du travail de Cerdon (cf. Ant. textus, fasc. 1, pp. 19-24).

Il est douteux qu'il ait vu Félicité de Lamennais, une confusion s'étant sans doute établie entre ce dernier et son frère Jean-Marie, que l'abbé Colin aurait vu en novembre 1822, alors qu'il venait de prendre son poste de vicaire général de la grande aumônerie.

Sa visite principale fut évidemment pour le nonce. Mais entre temps un fait capital était survenu. Pour mettre fin à une situation complexe résultant d'un vain effort pour substituer au concordat de Napoléon un nouveau concordat, le pape Pie VII, par la bulle Paternae charitatis, avait établi une nouvelle circonscription des diocèses de France. Celui de Lyon perdait le département de l'Ain, lequel formait un nouveau diocèse, celui de Belley, à la tête duquel était placé Mgr Devie. Le nonce se réserva de remettre à ce dernier, sous la juridiction duquel se trouverait désormais l'abbé Colin, le dossier du projet de Société de Marie (cf. doc. 122, § 1.).

L'abbé Colin vit Mgr de Bonald, évêque nommé du Puy, et lui parla du projet primitif de faire commencer la Société dans son diocèse. Mais Mgr de Bonald ne voulut point s'engager et renvoya l'abbé Colin à Mgr Devie ( cf. docc. 100, § 4, et 466, § 6).

Ainsi donc, au retour de ce second voyage à Paris, le bilan du recours à Rome et des démarches qu'il avait engagées était-il assez négatif. Au lieu d'avoir obtenu du Saint-Siège une reconnaissance leur permettant de surmonter les réticences de l'archevêché de Lyon, les aspirants maristes se trouvaient divisés en deux diocèses et, par la volonté du représentant du pape, les affaires de la Société avaient été remises entre les mains de l'évêque inconnu du petit diocèse de Belley. Les perspectives étaient donc plutôt sombres. La prochaine conférence montrera comment cette division en deux diocèses s'avérera cependant, à longue échéance, comme extrêmement utile pour la Société et comment le P. Colin saura y trouver, dix ans plus tard, le tremplin pour un nouveau et décisif recours au Saint-Siège.