COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

HUITIÈME CONFÉRENCE
LES MISSIONS DANS LE BUGEY 1825-1829

Docurnents à consulter:

OM l, docc. 131; 143; 157. OM 2, docc. 468-469; 516; 558; 560; 568; 577; 581; 583; 597-591; 595; 597; 605; 610; 617; 629; 635; 639; 640; 651; 661-662; 664-665; 686-687; 722-724; 734; 736; 746; 752, § 22. OM 3, docc. 819, §§ 58-72; 855.

Voir surtout OM 2, docc. 581; 587; 746.

De 1825 à 1829, les abbés Jean-Claude Colin, Déclas et Jallon - auxquels s'adjoignit en 1828 M. Humbert -, tous prêtres du diocèse de Bellcy et aspirants à la Société de Marie, prêchèrent des missions ou autres exercices spirituels dans les montagnes du Bugey. Cette activité, très restreinte dans le temps comme dans l'espace, constitue une manifestation parmi bien d'autres du grand effort missionnaire qui caractérisa l'Eglise de France sous la restauration (1815-1830); elle tire son originalité des conditions géographiques de la région où elle se déroula, de la situation particulière de l'équipe missionnaire qui s'y adonna et plus encore des méthodes mises en oeuvre par cette dernière. Sous ce dernier angle, les missions en question, outre l'intérêt qu'elles présentent en elles-mêmes, ont joué un rôle décisif dans la formati.on de l'esprit et de la manière de faire qui caractérisent l'apostolat mariste. Ce sont ces différents points que l'on se propose d'aborder brièvement ici.

 

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CADRE HISTORIQUE.

LES MISSIONS DE LA RESTAURATION

I.es missions apud fideles, notamment dans les campagnes, sont çhose courante en France depuis le XVIIe' siècle. Il suffit de rappeler à ce sujet les prédications de s. François Régis dans le Vivarais et le Velay, qui inspirèrent l'abbé Courveille, et la Congrégation de la Mission fondée par s. Vincent de Paul, dont l'influence sur le P. Colin est connue, La Compagnie de Marie, fondée par s. Grignion de Montfort au XVIIIe siècle, était précisément adonnée aux missions intérieures.

Interrompues par la révolution, les missions furent reprises discrètement au début de l'empire mais entièrement interdites par Napoléon en 1809. Dès la chute de ce dernier, on songea à les reprendre (cf. doc. 31, §§ 4-5). A la fin de 1814 était fondée à cette fin par M. Rauzan la société des missions de France; durant les années suivantes, plusieurs autres sociétés particulières furent fondées, entre autres la société de la Croix de Jésus à Lyon, les missionnaires de Provence (actuels Oblats de Marie immaculée), les missionnaires de Valence réunis par le futur Mgr Devie, etc.

Ces missions étaient destinées à réveiller la foi dans des populations encore marquées par les contrecoups de la révolution, et notamment à régulariser les situations morales délicates créées par les mariages bénis au temps du schisme constitutionnel et les achats illégitimes de biens d'Eglise. Le but était donc essentiellement religieux mais, rendues possibles par le retour du roi très chrétien, ces missions allaient inévitablement être marqués par l'optique générale du règne, qui était celle d'un retour à l'ancien régime avec la fameuse union « du trône et de l'autel ». La restauration religieuse accompagnait la restauration royaliste, sans se confondre avec elle mais en adoptant souvent ses perspectives et ses préjugés.

L'idée-force développée dans ces missions était celle du retour triomphal de Dieu dans son peuple qui l'en avait chassé par l'impiété révolutionnaire. Reprenant possession des consciences par le sacrement de pénitence. Dieu devait établir également son règne dans la vie publique et sociale grâce à de frappantes cérémonies d'expiation, d'autodafés et surtout par la plantation solennelle de la croix, laquelle, érigée souvent là où s'était dressé sous la révolution l'arbre de la liberté, symbolisait la reconquête visible de la ville ou du village par le Seigneur tout-puissant. A ces cérémonies assistaient les corps constitués, la force publique, etc., afin de souligner précisément l'aspect public et officiel de cette restauration religieuse.

Les conséquences d'une telle perspective sont aisées à comprendre : rhétorique de conquête, exagérations dans le geste et la déclaration, condamnations virulentes ne tenant souvent pas compte de la complexité des cas particuliers, ingérence dans des questions d'intérêt amenant divisions dans les familles, etc. et enfin l'identification de la cause de Dieu avec celle du régime politique concrétisée par le fameux cantique sur « les Bourbons et la foi ».

Il importe de souligner cependant que ces excès - lesquels n'ont pas empêché d'ailleurs un réel travail de conversion. - ont surtout caractérisé les premières années de la restauration jusque vers 1822 ou 1824 et les grandes missions urbaines. Dans les campagnes, tout se faisait plus simplement et, à partir du règne de Charles X (1824-1830), les missions sont à la fois moins fréquentes, moins bruyantes et moins marquées au point de vue politique.

On évitera donc d'opposer schématiquement les grandes missions urbaines des premières années de la restauration avec les petites missions rurales faites de 1825 à 1829 par les aspirants maristes. Vu les différences de circonstances, il serait trop simpliste de mettre en antithèse les excès des unes et la modestie des autres. Il n'empêche que les missions maristes ne se comprennent que sur le fond général de ces missions de la restauration, dont elles caractérisent peut-être assez bien la dernière phase.

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CADRE GÉOGRAPHIQUE . LE BUGEY

Le département de l'Ain, bordé à l'est et au sud par le Rhône et à l'ouest par la Saône, partagé verticalement par la rivière qui lui donne son nom, comprend plusieurs régions naturelles bien distinctes : au nord-ouest la Bresse, avec Cuet, où naquit s. Pierre Chanel; au sud-ouest, les Dombes, avec Ars, où fut curé s. Jean-Marie Vianney; au nord-est le pays de Gex, avec Crozet, où s. Pierre Chanel fut curé; enfin le Bugey, qui au sens large comprend toute la partie située entre l'Ain et le pays de Gex, divisée en Haut-Bugey (région de Cerdon, Nantua) et Bas-Bugey (bassin de Belley).

L'abbé Colin et ses compagnons n'ont prêché que dans le Bugey et spécialement dans sa partie la plus montagneuse. Voici la liste des paroisses qu'ils ont évangélisées, reconstituée grâce au doc. 746 complété par doc. 591, §§ 16-17 et les registres de catholicité des paroisses en question :

- durant les premiers mois de 1825, à partir de Cerdon : missions à la Balme (cf. doc. 131 ) et sans doute à Izenave et Corlier, avec peut-être visites à Poncieux et Saint-Jérôme (cf. doc. 591, § 16);

- hiver 1825-26, monts de l'Ain et combe du Val: Lacoux (23 octobre-fin novembre 1825; cf. doc. 143), Poncieux, Saint-Jérôme, Châtillon-de-Corneille, Vieu-d'Izenave, Aranc (mars-avril 1826 );

- hiver 1826-27, massif du Mollard de Don : Innimont (Toussaint 1826; cf. doc. 662), puis simultanément deux autres paroisses dont on ne sait pas le nom (cf. doc. 169, § 2); Saint-Germain-les-Paroisses (décembre 1826), Contrevoz (mi-janvier à mi-février 1827); après quoi le P. Déclas s'arrête sans doute à Ordonnaz (cf. doc. 591, § 17), tandis que ses confrères commencent la mission de Tenay, qui s'achève le 25 mars (cf. doc. 661). Arandas clôt la campagne d'hiver. Au mois de juin, les missionnaires sont à Prémillieu (cf. doc. 591, § 17), fait exceptionnel, car ils refusaient de prêcher durant l'été pour pouvoir travailler (cf. docc. 629 et 617);

- hiver 1827-28, massif du Mollard de Don (versant Rhône) : Lompnaz à la Toussaint, puis, après deux retraites à Belley et Meximieux, jubilés à Briord (janvier), Bénonces, Serrières-de-Briord (terminée le 4 mars), Montagnieu;

- hiver 1828-29: M. Humbert s'étant joint au groupe mariste, celui-ci peut se diviser. Après un jubilé à Vaux de mi-décembre à mi-janvier, donné, semble-t-il, par les quatre missionnaires, MM. Déclas et Jallon vont dans le bassin de Belley à Bons et Saint-Champ; MM. Colin et Humbert, de leur côté, après une retraite au collège de Nantua, vont à Cuzieux, puis à Ruffieu en Valromey. C'est durant cette mission qu'arrive la mort de M. Pichat (cf. docc. 189 et 724). Appelé à lui succéder à la tête du collège de Belley, l'abbé Colin voit se terminer là sa carrière missionnaire. Les autres continueront encore durant de nombreuses années et le P. Déclas presque toute sa vie.

Sur les vingt-sept paroisses nommées à l'instant, six n'avaient pas de prêtre au moment de la mission (la Balme, Corlier, Poncieux, Châtillon-de-Corneille, Innimont, Lompnaz); seize en sont dépourvues aujourd'hui. On se gardera donc d'exagérer la pénurie de prêtres au moment où prêchait le P. Colin. Il reste que cette partie montagneuse du Bugey avait été passablement négligée du temps où elle était rattachée au diocèse de Lyon, de 1802 à 1823. Y être envoyé était considéré par les prêtres comme une pénitence. Aussi plusieurs curés étaient-ils assez au-dessous de leur tâche, tel le curé de Saint-Jérôme, ainsi noté en 1803 : « Jureur schismatique apostat, entêté, n'a la confiance de personne ». Certains, au dire du P. Colin, n'avaient pas la foi (cf. doc. 605, § 6 ) et l'un au moins semble avoir été moralement perverti (cf. doc. 581, m). L'état des églises et du mobilier liturgique était généralement défectueux, les clochers abattus durant la révolution n'ayant le plus souvent pas été rebâtis. Dans de nombreuses paroisses, les mariages contractés devant des prêtres constitutionnels n'avaient pas encore été revalidés. Les besoins spirituels étaient donc très grands.

Physiquement ces missions étaient incontestablement très rudes, les villages évangélisés étant situés entre 500 et 1000 mètres et enneigés une bonne partie du temps entre novembre et mars, seule époque durant laquelle on pouvait espérer réunir les paysans empêchés de travailler par la mauvaise saison. Dans les quelques paroisses où il n'y avait pas de curé résident, le logement et la cuisine posèrent de réels problèmes. Le plus dur était évidemment les interminables sessions dans les confessionnaux humides d'églises non chauffées. Le P. Colin y contracta des rhumatismes pour toute sa vie. Plusieurs aventures de cette époque héroïque ont été racontées plus tard par le P. Colin et on les lira avec plaisir, tout en tenant compte de la part d'exagération due au romantisme de l'époque (cf. docc. 605; 639; 662).

 

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SITUATION DE L' ÉQUIPE MISSIONNAIRE

"Missionnaires du diocèse appelés maristes" : tel est le titre officiel des PP. Colin, Déclas, Jallon durant leurs missions (cf. doc. 157, §§ 7-8). Ce titre résume bien leur situation.

1. Ils sont missionnaires diocésains, c'est-à-dire à la disposition de leur évêque, Mgr Devie.

Ce dernier, qui avait déjà lancé les missions dans le diocèse de Valence, où il était vicaire général, avait une pastorale missionnaire lucide et courageuse. Tout en cherchant à créer un corps de missionnaires diocésains proprement dits, il fait appel aux Capucins, aux missionnaires de Lyon, aux missionnaires de Valence ( cf. doc. 665, § 3 ). C'est à ces prédicateurs expérimentés qu'il confie les missions dans les grands centres : Bourg, Belley, Nantua. Au petit groupe mariste il réserve la montagne, ce dont ces derniers ne songent nullement à se plaindre, leur mérite consistant moins à choisir les paroisses les plus déshéritées qu'à entrer généreusement dans les perspectives pastorales de l'évêque.

La tactique à suivre pour faire accepter la mission par les curés, qui souvent ne la désirent pas, est concertée entre l'évêque et l'abbé Colin (cf. doc. 665, §§ 4-5).

Bien plus, dans l'attitude même à adopter au confessionnal, l'abbé Colin dépend étroitement de son évêque, dont il adopte la morale miséricordieuse basée sur la doctrine de s. Alphonse de Liguori. (cf. doc. 542).

Enfin, c'est l'évêque qui nomme l'abbé Colin supérieur du groupe et approuve le règlement de ce dernier (cf. docc. 581, § 2; 687).

2. Ces missionnaires n'en portent pas moins le nom de Maristes.

Ce nom, ce n'est pas l'évêque qui le leur a donné. Il rappelle la Société à laquelle ils aspirent et le projet essentiellement religieux qui les a réunis avant même leur constitution en équipe missionnaire.

Entre eux existent la persuasion commune d'une mission reçue de Marie et certainement déjà des affinités spirituelles que nourrit peut-être la lecture de la règle de Cerdon.

Le réglement composé par M. Colin est très probablement un écho et un prolongement de cette règle primitive. Son texte ne nous est pas parvenu mais on en retrouve la substance dans le Summarium de 1833 (cf. Ant. textus, fasc. 1, pp. 71-72), les conseils donnés par le P. Colin durant son généralat (cf. JEANTIN, t. 4, pp. 201-240) et dans l'article De rnissionibus apud fideles des constitutions.

Assez dépendants de l'évêque pour n'avoir pas la tentation de faire bande à part et de s'attribuer le mérite de leur action, assez libres pour adopter et mûrir entre eux une manière apostolique correspondant aux fins et à l'esprit de la Société à laquelle ils aspiraient, les membres de l'équipe de Belley étaient dans les conditions idéales pour créer le premier ministère mariste et lui donner valeur de prototype.

 

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ESPRIT ET MÉTHODE

l.. Principes généraux.

Les membres de l'équipe mariste aimaient à s'appeler catéchistes plus que missionnaires (cf, doc. 610). Par là ils repoussaient dès le principe l'auréole attachée aux grandes missions, mettant l'accent sur l'essentiel: l'instruction religieuse et la conversion (cf. l'éloge fait d'eux à ce sujet par le curé d'Ars, docc. 419 et 581, § 13).

Pleins de respect et d'attention pour les curés, évitant de prendre leur place ou de les froisser, ils faisaient estimer la mission par ces derniers et assuraient ainsi le caractère durable de ses résultats (cf. docc. 558; 605).

Avec les fidèles, le souci de gagner les âmes, de ne heurter inutilement personne, de ménager la conversion future des endurcis eux-mêmes, marquaient leur action d'une note de prudence surnaturelle très poussée (cf. docc. 581, §§ 19-20; 590; 664).

Enfin et surtout, les missionnaires maristes accordaient une importance toute spéciale aux enfants, commençant la mission par eux et les faisant prier pour leurs parents, ce qui plaçait de suite la mission sur un plan spirituel et désarmait les préventions des adultes (cf. doc. 581, §§ 6-9).

En un mot, cherchant à s'imposer le moins possible, soucieux de toucher les coeurs plus que de les prendre d'assaut, les Maristes découvraient en la vivant ce qui devait être à l'avenir la règle d'or de leur apostolat : « Inconnus et cachés dans le monde, c'est le vrai moyen de faire le bien ».

2. Déroulement de la mission.

Il a été exposé tant par le P. Colin (doc. 581) que par le P. Jallon (doc. 587). On se borne ici à le résumer d'après ces textes.

La mission dure généralement de trois semaines à un mois. L'arrivée se fait autant que possible incognito, sans solennité. Visite à l'église puis au curé. De suite commence la confession des enfants.

La première instruction est une invitation paternelle à venir à la mission, puis durant les huit premiers jours on prêche sur la miséricorde de Dieu et les sujets propres à gagner la confiance des fidèles. Après seulement, en relation avec la confession des adultes, on passe en revue les commandements et, quand le plus gros des confessions est passé, on prêche sur la malice du péché. Les instructions sur les sacrements viennent en dernier lieu. Chaque jour on récite publiquement trois Pater et trois Ave pour la conversion des pécheurs.

Le déroulement de la mission est scandé de cérémonies destinées à émouvoir la sensibilité des fidèles mais qui restent pourtant dans une tonalité simple. Ainsi le service pour les défunts avec procession du drap mortuaire et sermon au cimetière (cf. doc. 587, § 3); la bénédiction des enfants et leur consécration à Marie (cf. docc. 583 et 587, § 4); l'amende honorable (cf. doc. 587, § 6); la rénovation des promesses du baptême (cf. doc. 587, § 5) et à la fin la plantation de croix (cf. docc. 581, § 19; 723) suivie des adieux aux missionnaires (cf. docc. 466, a'; 662).

3. Les sermons.

Les missionnaires emportaient avec eux leurs sermons tout écrits (cf. doc. 581, k). Tous ceux du P. Colin nous sont parvenus; ceux du P. Déclas étaient encore aux archives en 1935 et on peut espérer les retrouver. Une étude attentive de ces sermons comparés avec ceux des sermonnaires du temps et du curé d'Ars est encore à faire. Elle permettrait de dégager les caractéristiques de la première prédication mariste. Dès maintenant on peut dire cependant que cette prédication était très classique dans ses thèmes, marquée dans sa forme par l'éloquence un peu surannée des grands sermonnaires mais sans outrance ridicule, au moins de la part du P. Colin. Toute allusion politique en est absente. L'ensemble est nettement plus dogmatique et catéchétique qu'apologétique. Une place très grande est faite au sacrement de pénitence, un des buts principanx de la mission étant d'obtenir la conversion des pécheurs par la confession.

4. Confession.

L'administration du sacrement de pénitence était encore dominée à l'époque par le rigorisme des moralistes français du XVIIIe siècle. Chaque pénitent devait venir se confesser deux ou trois fois avant de recevoir l'absolution, et la liste de ceux à qui on devait la refuser était longue. Les premiers Maristes semblent avoir eux aussi pratiqué d'une manière habituelle ce délai d'absolution (cf. doc. 581, § 18) et exigé pour la donner des signes exceptionnels de contrition (cf. doc. 475). Mais plus que d'autres, ils paraissent avoir évité au maximum de devoir la refuser (cf. docc. 517, § 5; 675), ceci sans doute sous l'influence de Mgr Devie et de la morale liguorienne qu'il professait. Par là s'élaborait dans la pratique la doctrine qui sera plus tard celle de la Société :

Dans la Société, on fera profession d'embrasser tous les sentimens qui favorisent le plus la miséricorde divine, à cause de la grande faiblesse de la pauvre nature humaine, sans tomber cependant dans la théologie relâchée, (MAYET Sl, 65).

 

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B I LAN

l. Résultats pastoraux.

Dieu seul est juge du bien qu'ont pu faire dans les âmes les missions de nos premiers pères. Humainement parlant, on peut dire qu'elles ont réussi, c'est-à-dire obtenu le retour à Dieu par les sacrements de la grande majorité des habitants des paroisses visitées (cf. docc. 131, § 2; 143; 182, § 2; 746). Un signe particulièrement tangible de leur heureux résultat apostolique est le grand nombre de mariages revalidés dont témoignent les registres paroissiaux (cf. OM 2, pp. 405, note 8; 636, notes 1 et 2; 637, note 1; 638, note 2).

Quant à vouloir retrouver aujourd'hui des traces du résultat de ces missions en comparant aux autres paroisses du diocèse celles où prêchèrent les Maristes, ce serait bien illusoire. Les causes qui ont amené au XIXe siècle la baisse générale de la pratique religieuse dans le Bugey sont trop vastes et trop complexes pour que quelques semaines de prédication vers les années 1820 aient pu à l'avance les prévenir. Il reste que les missions maristes ont, comme « missions de la restauration », joué pleinement et efficacement leur rôle en réparant les dégâts religieux causés par la révolution et en donnant sur le moment à des milliers de fidèles la possibilité de revenir à Dieu.

2. Conséquences pour la Société.

Prolongées dans le diocèse de Belley par les PP. Déclas et Humbert, les premières missions du Bugey ont influé également sur celles prêchées après 1836 par l'ensemble des Maristes grâce aux instructions sur les missions données à chaque retraite, souvent par le P. Colin lui-même. C'est la substance de ces instructions et des traditions créées dès l'origine dans la Société qui sont à la base du Manuel du missionnaire mariste rédigé plus tard par le P. Balmon.

Mais l'influence de ce premier ministère exercé en commun par les Maristes s'est fait sentir sur l'ensemble de l'apostolat de la Société. Ces missions restent le témoignage de la validité d'un apostolat simple et caché et du bien qui peut se faire par lui. En ce sens-là, tout Mariste, quelle que soit l'oeuvre à laquelle il est employé, ne peut se dispenser de revenir périodiquement à l'exemple laissé par la première équipe missionnaire du Bugey. Mais il faut laisser ici la parole au P. Colin lui-même :

Voycz nos premiers confrères, les pères Déclas, Humbert, Jallon. C'étaient des âmes humbles, droites, simples. Oh! comme le bon Dieu les bénissait! Tout était pauvre dans leur vie. Nous mangions chez les pays, nous couchions ensemble. Tout était simple dans leurs prédications, et les peuples tombaient. Nous étions accablés au confessionnal. (Actes du chap. 1870-72, p. 152).

Je désire singulièremcnt qu'on ait dans la Société quelques souvenirs sur nos prerniers commencemens, non pour qu'il soit parlé de nous (...), mais afin que, plus tard, on se conformât à notre manière de faire et à imiter la simplicité que Dieu a bénie. Plus tard, lorsque la Société se sera agrandie et que certains esprits seraient portés à repousser ce genre, ces souvenirs écrits seraient un point de ralliement. (OM 2, doc. 581, § 1).