COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

DOUZIÈME CONFÉRENCE
APPROBATION DE LA SOCIETE,
ELECTION DU P. COLIN, PREMIERS VOEUX

Principaux documents à consulter:

OM l, pp. 821-879 ; docc. 395 ; 396 ; 398 ; 399; 401406. OM 2, docc. 427, §§ 18-23; 435; 461; 504; 520; 61.5; 621 ; 643 ; 653 ; 684 ; 709; 750, § 13 ; 752, §§ 38-52 ; 757, §§ 65-67.

Ecrits de s. Pierre Chanel, doc. 16.

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L'APPROBATION DE LA SOCIÉTÉ

1. Vers la réouverture du dossier mariste.

On a vu à la fin de la dixième conférence que l'oubli semble être tombé, au sein de la S. Congrégation des Evêques et Réguliers, sur le dossier de la Société de Marìe après que la supplique présentée par M. Trinchant à l'automne 1834 (doc. 326) eut été rejetée par le card. Castracane en mars 1835 (doc. 335). En tout cas, malgré la décision pontificale du 20 juin 1834 (doc. 314), les lettres que la S. Congrégation devait adresser aux deux ordinaires de Lyon et de Belley ne furent pas envoyées (cf. doc. 363, § 1 ).

Au mois de décembre 1835, le consulteur de la Propagande chargé de préparer le rapport sur le vicariat d'Océanie occidentale se renseigna peut-être auprès de la S. C. des Evêques et Réguliers sur cette Société de Marie à laquelle il était question de confier le vicariat projeté (cf. doc. 351, § 20, et note à cet endroit). En tout cas, le card. Castracane, qui présenta ce rapport à la réunion plénière du 23 décembre 1835, connaissait bien la Société, dont il avait eu à s'occuper personnellement au cours des deux années précédentes. A la même réunion assistaient également le card. Sala, préfet de la S. C. des Evêques et Réguliers depuis le 21 novembre 1834, et quatre cardinaux membres de cette dernière Congrégation (cf. doc. 350).

Ainsi donc, grâce à la présence des mêmes cardinaux au sein des Congrégations de la Propagande et des Réguliers, cette dernière se trouvait informée dès le 23 décembre 1835 du rebondissement de l'affaire de la Société de Marie. Le card. Sala n'hésita même pas, ce jour-là, à assurer qu'il donnerait à l'abbé Colin de sérieuses espérances d'approbation pour l'encourager à accepter la mission d'Océanie (cf. doc. 356, § 4).

Après que le pape eut approuvé la résolution de la Propagande le 10 janvier 1836 (cf. doc. 352, § 3), Mgr Mai, secrétaire de cette Congrégation, écrivit au card. Sala pour lui rappeler cette promesse (doc. 357).

2. La reprise de l'affaire.

Au reçu de cette lettre, le card. Sala fut quelque peu embarrassé. N'ayant pas sous le yeux le dossier de la Société, il ne voulait pas donner à l'abbé Colin de fausses espérances et se contenta de rédiger un brouillon de lettre à Mgr de Pins qu'il envoya prudemment au card. Castracane (cf. docc. 361-362).

Le card. Castracane refit le paragraphe principal de la lettre en indiquant clairement :

1) que le projet de Société de Marie avait été rejeté en 1834 parce qu'il comprenait quatre branches;

2) qu'il serait approuvé s'il était limité à la branche des prêtres (cf. doc. 363).

On retrouvera la même simplification du problème dans le rapport que le cardinal présentera le 11 mars.

Cette lettre corrigée fut envoyée par le card. Sala à Mgr de Pins le 28 janvier 1836 (doc. 365). Ainsi donc, après près de deux ans de tergiversations, l'un au moins des deux ordinaires dont dépendaient les Maristes était averti des conclusions négatives de la réunion du 31 janvier 1834. Mais au même moment il apprenait que l'approbation de la seule société des prêtres ne ferait pas de difficulté. Ce deuxième point effaçait la mauvaise impression qu'aurait pu créer le premier. M. Trinchant avait vu juste en essayant de gagner du temps. Mais, décédé le 24 août 1835, ce grand bienfaiteur de la Société n'était plus là pour constater le résultat de ses efforts.

D'ailleurs, cinq jours avant le card. Sala, le card. Fransoni avait écrit dans le même sens à Mgr de Pins (cf. doc. 359). C'est par cette lettre que l'abbé Colin apprit à la fois que l'Océanie était confiée à la Société de Marie et qu'on pouvait espérer l'approbation de cette dernière. Le 10 février, il écrivit aux cardinaux Castracane et Fransoni pour confirmer son acceptation de la mission et demander un bref d'approbation limité à la branche des prêtres (cf. docc. 368; 369). Le 16 du même mois, il écrivait à l'agent romain qui avait remplacé M. Trinchant, en insistant pour que fût concédé aux Maristes le pouvoir d'émettre des voeux simples dont le supérieur pourrait dispenser (cf. docc. 375, § 3; 377, § 1).

L'agent ou plutôt sans doute le minutante des Evêques et Réguliers, don Crociani, qui avait pris l'affaire en main, demanda par retour du courrier, le premier mars, si l'abbé Colin limitait ses règles au Summarium déposé à la S. Congrégation en 1833 (cf. doc. 377, § 1 ). Mais avant même que M. Colin ait reçu cette lettre, la Société de Marie avait été approuvée.

3. Le décret d'approbation du 11 mars 1836.

Dès l'arrivée des deux lettres de l'abbé Colin datées des 10 et 16 février, la S. C. des Evêques et Réguliers était en effet en possession de tous les éléments nécessaires pour procéder à l'approbatíon de la Société. Point n'était besoin d'attendre la réponse de Mgr de Pins au card. Sala puisqu'on savait déjà que les Maristes acceptaient la mission d'Océanie et se bornaient à demander l'approbation des prêtres. Quant à savoir si le Summarium pouvait ou non servir de base à une approbation, c'était inutile, le card. Castracane s'étant résolu à séparer complètement l'approbation de la Société de l'approbation des règles.

Ainsi done, une procédure expéditive, bousculant quelque peu la traditionnelle lenteur des Congrégations romaines, fut appliquée à la Société de Marie dans le but de ne pas retarder ultérieurement l'envoi de missionnaires « ai poveri isolani della Polinesia » (cf. doc. 374).

Don Crociani rédigea en latin une supplique résumant les requêtes de l'abbé Colin, à savoir : approbation de la seule société des prêtres, pouvoir d'élire un supérieur général, pouvoir d'émettre des voeux simples (cf. doc. 373, §§ 1-6).

Le 11 mars, dans une réunion plénière de la S. C. des Evêques et Réguliers, le card. Castracane présenta sur l'affaire un très bref rapport. Simplifiant considérablement la question, il laissa entendre que le 31 janvier 1834 la seule difficulté formulée contre l'approbation de la Société de Marie avait été son plan à quatre branches et que la S. Congrégation s'était bornée à demander, avant l'approbation, la réduction du plan et la présentation des règles (cf. doc. 375, 1). En réalité, dès janvier 1834, M. Colin avait spontanément proposé de se limiter à l'approbation des prêtres et le cardinal lui avait opposé alors l'incompatibilité de ses règles avec le droit religieux (cf. doc. 304, § 16). Quant à la résolution de la S. Congrégation, elle avait porté sur l'envoi aux ordinaires d'une lettre qui ne laissait aucunement entrevoir une future approbation (ibid., § 19). De tout cela il n'était point fait mention dans le rapport du 11 mars. La question des règles y était laissée de côté. Le cardinal se bornait à prendre acte de la réduction du plan primitif et de la généreuse acceptation de la mission d'Océanie par les Maristes.

Personne dans l'auditoire ne dut être fâché de cette élégante schématisation qui permettait à la S. Congrégation d'approuver la Société de Marie sans avoir à se déjuger. On conclut en décidant de demander au pape l'envoi d'un bref d'approbation qui autoriserait les Maristes à élire un supérieur général et à émettre des voeux simples dont le supérieur pourrait dispenser. Un décret fut rédigé en ce sens et approuvé le même jour par le Saint-Père (doc. 373). C'est donc le 11 mars 1836 que fut acquise l'approbation de la Société mais, la décision en question ayant été expédiée par bref, c'est la date de ce bref qui, suivant les usages canoniques, doit être reconnue comme la date officielle de l'approbation.

Dès le 12 mars, le card Castracane écrivit à M. Colin pour lui annoncer la bonne nouvelle, insistant sur le fait que c'était l'acceptation de la mission qui avait joué le rôle principal dans le revirement de la S. Congrégation (cf. doc. 376 ).

Cette lettre se croisa en route avec celle que l'abbé Colin écrivait à son agent romain pour demander qu'on ne prenne pas le Summarium comme base de l'approbation (cf. doc. 377, § 1 ). Raconté plus tard par le P. Colin et mal interprété par le P. Mayet, ce détail donna naissance à la légende suivant laquelle l'approbation aurait été acquise malgré le P. Colin, lequel aurait écrit, mais trop tard, pour l'arrêter (cf. docc. 461, e; 752, § 38). En fait, M. Colin fut enchanté que l'approbation ait été concédée et ce en réservant à plus tard la question des règles, ce qui laissait le temps pour les mettre au point (cf. docc. 377 et 427, §§ 18-19).

4. Le bref Omnium gentium.

Peu après la congrégation générale du 11 mars 1836, une expédition du décret de la S. C. des Evêques et Réguliers fut envoyée à la secrétairerie des brefs avec les lettres testimoniales des évêques apportées à Rome en 1833 par Jean-Claude Colin. C'est sur les données de ces documents que fut rédigée la minute du bref Omnium gentium.

A l'audience du 29 avril au Vatican, Grégoire XVI appasa son placet au bas de cette minute. C'est cette date qui, reproduite en finale du texte, est à retenir comme la date officielle de l'approbation.

Ce bref, le plus important des documents concernant la Société de Marie, ayant été longuement analysé en OM 1, pp. 871-877, on se permet de renvoyer ici purement et simplement à ces pages.

Envoyée sans doute le samedi 7 mai par M. Fausti, l'expédition originale sur parchemin dut arriver à Belley vers le 20 du même mois. M. Colin déposa le document cacheté sur une table et tous les confrères vinrent le baiser respectueusement (cf. doc. 819, § 92 a). Cette pièce est aujourd'hui exposée en bonne place au musée du P. Colin à la Neylière.

 

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LA RÉUNION DES 20-24 SEPTEMBRE 1836

1. Préliminaires.

Le bref Omnium gentium autorisant les Maristes à élire un supérieur général et à faire des voeux, il s'agissait d'organiser une réunion pour cela. En fait, trois questions se posaient à ce sujet: à quelle époque tenir cette réunion? où la faire? qui y inviter?

Si la réunion n'eut lieu qu'en septembre, quatre mois après la réception du bref, ce fut sans doute parce qu' il n'était guère facile de la faire durant l'année scolaire et qu'on désira laisser aux missionnaires le temps de se préparer. Par ailleurs, c'est en septembre que se tenaient les retraites de la Société et l'époque se trouvait, de ce fait, la plus convenable pour tous.

Le choix du lieu était plus délicat, Lyon et Belley ayant toutes deux des droits à se voir préférées. Finalement, après une fervente prière à Marie, Jean-Claude Colin entrevit la solution: la réunion se tiendrait à Belley, mais on promettrait à l'archevêché de Lyon d'établir la maison-mère dans cette dernière ville. Ce compromis satisfit tout le monde (cf. docc. 677 et 709).

Par ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'était pas si aisé de déterminer qui participerait à la réunion. Le bref Omnium gentium autorisait les « prêtres de la Société » à s'élire un supérieur, mais qui étaient ces prêtres? Entre 1816 et 1836, en effet, on ne compte pas loin d'une cinquantaine d'ecclésiastiques qui, à un titre ou à un autre, avaient adhéré au projet de Société de Marie. Aux signataires du formulaire de 1816 qui n'avaient pas gardé contact avec leurs confrères, il ne fallait guère songer. Mais tel prêtre de Belley comme M. Deschamps, qui avait signé toutes les consécrations maristes jusque là et travaillait encore avec les confrères au début de 1836, dut certainement être sollicité et se récuser. Par contre, fallait-il accepter les recrues toutes récentes et encore mal connues? M. Bataillon, qui devait partir en Océanie, le fut, mais non M. Bertholon, entré à Valbenoîte en juin 1836 (cf. doc. 394). Rien n'est conservé, malheureusement, des correspondances et délibérations au terme desquelles fut fixée la liste des vingt candidats à la première profession.

Enfin, dernière difficulté, il fallut, avec diplomatie, faire comprendre à Mgr Devie, qui tenait à présider la réunion, qu'une telle initiative de sa part porterait ombrage aux confrères de Lyon, dont M. Terraillon défendait fortement le point de vue. C'est le bon P. Chanel qui mena à bien cette délicate mission (cf. docc. 709, § 3; 750, § 13).

2. Les participants.

A la réunion assistèrent, outre Mgr Pompallier, que sa dignité épiscopale mettait à part, vingt ecclésiastiques des diocèses de Lyon et de Belley. On en trouvera les noms en doc. 403, § 2. Quatre avaient adhéré au projet mariste dès le grand séminaire de Lyon en 1816: Jean-Claude Colin, MM. Champagnat, Déclas et Terraillon; un cinquième, Pierre Colin, s'était joint en 1817, avant la séparation des diocèses. Après cette dernière, étaient venus du diocèse de Belley MM. Jallon ( 1825 ), Humbert ( 1828), Convers ( 1830), Maîtrepierre, Chanel et Bret ( 1831 ), Antoine Séon ( 1832 ), Baty ( 1834). Durant le même temps, étaient venus du diocèse de Lyon MM. Etienne Séon ( 1827), Bourdin ( 1828), Pompallier ( 1829), Chanut ( 1831 ), Forest et Servant ( 1832 ), Chavas ( 1833 ), Bataillon ( 1836).

A l'arrivée du bref, sur ces vingt confrères onze appartenaient au diocèse de Belley et neuf à celui de Lyon. Sur ces derniers, cinq, sans compter Mgr Pompallier, avaient été formés à la vie mariste par M. Champagnat à l'Hermitage.

On trouvera de brèves indications biographiques sur chacun de ces confrères en JEANTIN, t. 1, pp. 302-316.

Il est inutile d'insister sur le caractère peu homogène de ce groupe de prêtres venant de deux diocèses différents et en partie rivaux. Aussi bien le premier article du règlement affiché le premier jour sera-t-il: « Ne parler ni de Lyon ni de Belley » (doc. 402, 1°). Par ailleurs, les prêtres qui se trouvaient réunis là étaient pour la plupart accoutumés à la vie du clergé séculier et, pour certains, parvenus à un âge où il est déjà difficile de réformer ses habitudes (le plus âgé, M. Déclas, avait 53 ans; le plus jeune, M. Baty, 25; la moyenne était de 36 ans). C'est un des mérites du P. Colin d'avoir réussi par la suite à faire avec ces éléments une communauté profondément une et dynamique.

3. Déroulement de la réunion.

Il est connu grâce aux avis affichés dès le premier jour ( doc. 402 ) et au procès-verbal qui ouvre le registre des retraites de la Société ( doc. 403 ), ainsi qu'au récit du P. Maîtrepierre (doc. 752, §§ 41-43).

Les assemblées des quatre premiers jours eurent lieu dans le cabinet de physique du petit séminaire de Belley (cf. doc. 403, § 3). Deux instructions de retraite par jour furent données par Mgr Pompallier. Deux autres séances étaient consacrées à l'explication de la règle par Jean-Claude Colin.

Le texte de la règle commentée alors ne nous est pas parvenu comme tel. Depuis son retour de Rome, M. Colin avait certainement retouché celle qu'il y avait apportée. Il avait notamment travaillé avec ardeur à cette refonte entre la mi-février et le 23 mars 1836, c'est-à-dire entre la réception de la lettre du card. Sala, qui laissait entrevoir une prochaine approbation, et celle du card. Castracane, qui annonçait que cette dernière était acquise. A ce mornent, en effet, il désirait éviter, comme on l'a vu, que ce fût le Summarium laissé à Rome en 1833 qui servît de base à l'approbation (cf. doc. 377 ).

C'est sans doute de cette règle expliquée en septembre qu'on trouve l'écho dans le Regularum Societatis Mariae epitome, bien antérieur au texte de 1842 (cf. Ant. textus, fasc. 2, pp. 15-29). L'abbé Colin avait dès lors adopté le plan général des constitutions jésuites, qui reste encore à la base des nôtres.

Sur la difficulté éprouvée par Jean-Claude Colin dans cette explication des constitutions, voir les intéressantes remarques du P. Maîtrepierre ( cf. doc. 752, § 43 ).

 

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ÉLECTION DE JEAN-CLAUDE COLIN

Auteur de la première ébauche des règles à Cerdon de 1817 à 1820, ayant pris dès 1822 la responsabilité des démarches auprès des autorités ecclésiastiques, reconnu comme supérieur par les aspirants maristes tant de Lyon que de Belley à partir de la disparition de M. Courveille en 1826, élu supérieur central en 1830, Jean-Claude Colin avait vu son prestige encore renforcé auprès de ses confrères par la manière dont il avait conduit et porté à leur heureux résultat les démarches auprès de la cour romaine. Il ne pouvait faire de doute pour personne qu'il serait élu supérieur général à une écrasante majorité.

De son côté, que pensait-il? L'hésitation semblerait ne pas devoir exister sur ce point, car à de nombreuses reprises le P. Colin lui-même a déclaré avoir été persuadé que l'élu serait M. Cholleton (cf. docc. 435, § 1; 519, m; 547, § 8; 615; 643). Il aurait même obtenu de Mgr de Pins l'assurance qu'en cas d'élection M. Cholleton aurait pu quitter son poste de vicaire général pour prendre la tête de la Société (cf. docc. 519, m; 615).

En fait, il est difficile d'imaginer que M. Colin ait pu se faire illusion à ce point sur les dispositions de ses confrères (cf. doc. 547, §§ 7-8). Même si on l'admet, il reste que les documents contemporains ne favorisent guère cette hypothèse. En effet, non seulement le règlement affiché dès le premier jour ne prévoyait pas le cas où l'élu ne serait pas dans l'assemblée, mais il semble avoir été rédigé dans la persuasion qu'effectivement cet élu se trouverait dans la salle au moment du scrutin (cf. doc. 402, 17°). Or il est clair que ce règlement porte la marque de Jean-Claude Colin, le seul qui ait eu alors l'autorité suffisante pour le rédiger et le faire accepter (cf. doc. 519, § 5). On voit mal comment il aurait pu oublier de prévoir une hypothèse qu'il était persuadé de voir se réaliser.

En définitive, il semble que Jean-Claude Colin a pu, durant les vingt ans de démarches qui ont précédé l'approbation, se soutenir à l'idée que, le moment venu, ce serait M. Cholleton qui prendrait la tête de la Société. Il a pu opérer en ce sens auprès de Mgr de Pins une démarche qui en toute hypothèse était prudente et convenable. Mais il semble difficile qu'il n'ait pas senti bien avant le 24 septembre 1836 que ses confrères ne songeaient guère à élire le vicaire général de Lyon et qu'il n'ait pas envisagé jusque dans le détail l'hypothèse de sa propre élection.

Sur la manière dont cette dernière se déroula, on ne peut que renvoyer au procès-verbal ( cf. doc. 403, §§ 13-19) et à deux récits du P. Maîtrepierre (docc. 684 et 752, §§ 46-47), qui sont très détaillés. En bref, c'est à la Capucinière de Belley, dans une salle du premier étage, très exactement située par P. Mayet (cf. doc. 621 ) mais entièrement détruite depuis la vente récente de la maison, qu'eut lieu la cérémonie. Le scrutin fut précédé d'une demi-heure d'oraison. Dès le premier tour, Jean-Claude Colin réunit l'unanimité des suffrages moins le sien, qui s'était porté sur M. Cholleton (cf. docc. 435, § 1; 615).

Le bref Omnium gentium ne fixant aucun terme à la durée du généralat et les électeurs n'ayant rien déterminé non plus à ce sujet, M. Colin se trouvait de droit élu supérieur général à vie.

Après quelques mots du P. Champagnat au nouveau supérieur, on procéda à l'élection d'un assistant. Voyant que son frère obtenait de nombreuses voix, Jean-Claude Colin lui demanda de se désister, et au second tour fut élu M. Terraillon (cf. docc. 684; 757, § 67 et note à cet endroit). On en passa alors à la cérémonie de l'émission des voeux.

 

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PREMIERS VOEUX

L'émission des voeux eut lieu non plus dans la salle du premier étage où s'était déroulée l'élection mais « en l'église dite des Capucins » (cf. doc. 405), c'est-à-dire dans la chapelle extérieure de la Capucinière, que les Maristes venaient de faire restaurer ( cf. doc. 333 ) . Cette chapelle n'a pas subi depuis lors de modifications substantielles (cf. OM 1, fig. 25). Elle sert provisoirement de débarras mais devrait en principe être affectée de nouveau au culte catholique à l'usage des élèves de l'enseignement public qui occuperont désormais la Capucinière. Son aspect intérieur changera sans doute alors, mais on peut espérer qu'il sera loisible aux pèlerins maristes de la visiter.

Sur le déroulement de la cérémonie, voir le procès-verbal (doc. 403, §§ 19-22) et le récit du P. Maîtrepierre (doc. 752, §§ 48-52). Le nouveau supérieur général émit d'abord ses voeux face à l'autel entouré de ses confrères, mais sans que personne fût là pour recevoir au nom de l'Eglise cette profession. Après quoi le Révérend Père Colin - nous pouvons enfin lui donner ce titre - reçut les voeux de ses dix-neuf confrères. Enfin, le P. Colin s'étant retiré, Mgr Pompallier, à qui sa dignité épiscopale ne permettait pas d'émettre des voeux ( cf. doc. 401 ), lut une promesse d'attachement à la Société (doc. 404).

Il est pratiquement certain que la formule utilisée pour l'émission des voeux fut celle qui est encore en usage aujourd'hui (cf. OM 1, p. 924, note 3). Le P. Colin dut seulement supprimer dans sa propre profession la mention du supérieur général (ibid., p. 928, note 2). Les actes de profession établissent clairement que ces voeux étaient simples, conformément à la teneur du bref Omnium gentium, et perpétuels, ce que le bref ne précisait pas mais qui était conforme à la pratique courante de l'Eglise à l'époque. Il était entendu, toujours d'après le bref, que le supérieur général avait le pouvoir de dispenser de ces voeux, privilège qui durera jusqu'à la première approbation des constitutions du P. Favre en 1860 et en vertu duquel le même P. Favre dispensera de ses voeux le P. Eymard en 1856. Enfin, il était entendu que le supérieur général gardait, au moins pour un an, toute latitude quant à l'observation des voeux, c'est-à-dire qu'il pouvait interpréter largement les prescriptions des voeux d'obéissance et de pauvreté pour des confrères qui auraient à vivre encore en dehors des maisons maristes, tels les PP. Terraillon et Maîtrepierre. Cette clause fut renouvelée chaque année jusqu'en 1840.

A l'issue de la cérémonie, la Société de Marie était juridiquement constituée avec vingt profès, dont le P. Champagnat, prêtre mariste au même titre que les autres (cf. doc. 404). Quant à Mgr Pompallier, il est clair que, n'ayant pu faire ses voeux, il n'a jamais fait canoniquement partie de la Société de Marie.

Sur l'emploi du temps de la journée après la profession, voir docc. 403, §§ 21-25, et 752, §§ 49-52.

 

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CONCLUSION

 Ainsi donc, vingt ans après la promesse de 1816, à la suite de patientes démarches dont le P. Colin avait été l'âme et grâce au bon esprit et à l'union de ses confrères, la Société de Marie existait-elle enfin dans l'Eglise comme une authentique congrégation religieuse de droit pontifical. Sur les sentiments qui étreignaient les acteurs de cette journée historique, on pourra lire le témoignage du P. Maîtrepierre (cf. doc. 752, §§ 47 et 51-52).

C'est aux développements de cette Société sous le généralat du P. Colin que sera consacrée la seconde partie du présent cours d'histoire mariste.