COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

SEPTIÈME CONFÉRENCE
LES GROUPES DE LYON ET DE BELLEY
DE 1823 à 1833

Principaux documents à consulter:

OM 1, pp. 292-566. Les textes les plus significatifs sont indiqués dans le cours de la conférence. OM 2, docc. 535, §§ 9-31 ; 625 ; 720, §§ 1-8 ; 746 ; 748, §§ 11-17 ; 750, §§ 8-13; 752, §§ 21-31; 757, §§ 27-64.

Pour l'histoire des soeurs maristes durant cette période, cf docc. 513, §§ 5-12; 759, §§ 13-38; 760, §§ 7-20.


1

CONSÉQUENCES DE LA SÉPARATION DES DIOCÈSES ( 1823-1825)

 

On a vu dans la conférence précédente que la bulle Paternae charitatis du 6 octobre 1822 avait, dans le cadre d'une refonte générale des circonscriptions ecclésiastiques françaises, fait du département de l'Ain, détaché du diocèse de Lyon, un nouveau diocèse, celui de Belley. A la tête de ce dernier fut nommé, en janvier suivant, Mgr Devie, ancien vicaire général de Valence, qui fit son entrée à Belley le 23 juillet 1823.

Après celle des nouveaux diocèses créés par la bulle papale, fut réglée, à la fin de 1823, la situation particulière du diocèse de Lyon, pendante depuis 1817. Le 22 décembre, Mgr de Pins, jusque là évêque de Limoges était nommé par Léon XII administrateur apostolique du diocèse de Lyon. Il y fit son entrée le 18 février 1824, après que M. Bochard eut protesté la veille en séance capitulaire contre la décision pontificale, jugée par lui injurieuse pour le cardinal Fesch, toujours titulaire du siège. M. Bochard quitta peu après le diocèse.

Quant à M. Courbon, que Mgr de Pins avait confirmé dans ses fonctions de vicaire général, il était décédé quelques jours avant l'entrée du prélat.

Ainsi donc les aspirants maristes, qui n'avaient eu affaire jusque là qu'aux vicaires généraux, figés à leur égard dans une attitude négative, se trouvaient-ils en présence de deux évêques fraîchement nommés dans leurs diocèses respectifs. Leur attitude à l'égard du projet mariste allait s'avérer décisive pour ce dernier.

- A Belley, peu après l'arrivée de Mgr Devie, Jean-Claude Colin alla prendre contact avec lui. Il appréhendait fort ce voyage et c'est en cette circonstance qu'il fut soutenu et conforté d'une apparition de la Vierge sur le chemin de la Coria (cf. docc. 425, § 10; 717). L'accueil de Mgr Devie fut bienveillant. Le 8 septembre suivant, avec son autorisation, Jeanne-Marie Chavoin et Marie Jotillon se réunissaient à Cerdon pour commencer officiellement la congrégation de Marie (doc. 88). Elles furent bientôt rejointes par deux autres jeunes filles de Coutouvre, qui passèrent avec elles un rude hiver dans une pauvre maison du village. Au printemps, leur exemple commença à susciter de nombreuses vocations parmi les jeunes filles de Cerdon, et la communauté dut s'installer dans une autre demeure (cf. docc. 759, §§ 13-34; 760, §~ 7-19).

- A Lyon, moins de trois semaines après l'arrivée de Mgr de Pins, le nouveau conseil archiépiscopal, dans lequel figure M. Cholleton, prend acte de la réussite de M. Champagnat dans son oeuvre de frères et décide de l'encourager (doc. 95). Avec l'aide de M. Courveille, ce dernier achète, au mois de mai 1824, un terrain près de Saint-Chamond pour y établir d'une manière plus stable la maison-mère et le noviciat de l'institut. Peu après, M. Courveille, libéré de sa paroisse d'Epercieux, va le rejoindre à la Valla tandis que, sur le terrain nouvellement acquis, commence à s'élever la maison de l'Hermitage. Dès lors, la direction de l'oeuvre des frères passe pour un temps entre les mains de M. Courveille, qui rédige un prospectus à l'usage des curés ( doc. 108 ) et traite personnellement la fondation de Charlieu (cf. doc. 120), bien que l'archevêché continue à voir dans M. Champagnat le vrai fondateur de l'institut (cf. doc. 110, 2°).

Les oeuvres existantes de frères et de soeurs se trouvaient donc encouragées à Lyon et Belley par les évêques respectifs. Mais l'objectif essentiel restait le cammencement de la branche principale, celle des prêtres, lesquels n'avaient pu obtenir encore jusque là l'autorisation de se réunir. Pour cela, durant toute l'année 1824, l'abbé Jean-Claude Colin essaya d'obtenir que les aspirants à la Société pussent se regrouper dans un même diocèse, pratiquement celui de Belley, où il se trouvait lui-même. Il fit pour cela plusieurs voyages à Lyon, ne réussissant à rencontrer Mgr de Pins qu'à la fin de novembre. L'administrateur apostolique refusant absolument de laisser sortir aucun prêtre de son diocèse, tout espoír d'obtenir une réunion rapide des aspirants maristes disparut alors pour longtemps (cf. doc. 121 ). Mais l'affaire avait révélé le rôle de tout premier plan joué dès lors dans la Société par l'abbé Colin, qui se considère désormais comme en portant la responsabilité et comme le plus habilité pour en parler (cf. doc. 117, §§ 2-3). Sa correspondance en cette année-là témoigne par ailleurs de sa finesse et de sa souplesse dans le traitement d'une affaire particulièrement délicate (cf. notamment docc. 100; 117; 121). Un intéressant billet à M. Courveille révèle enfin la distance que le vicaire de Cerdon a déjà prise vis-à-vis du promoteur du projet mariste (cf. doc. 122).

La perspective d'une réunion prochaine étant donc écartée, les groupes maristes de l'un et l'autre diocèse se stabilisent lentement.

- Dans celui de Belley a lieu, le 8 décembre 1824, à Cerdon, l'élection de Jeanne-Marie Chavoin comme supérieure générale des soeurs et la prise d'habit des neuf premières d'entre elles (cf docc. 123; 124; 760, § 20). Depuis la fin d'octobre, M. Déclas a été autorisé à quitter sa paroisse pour se joindre aux deux abbés Colin, et cette première réunion stable de trois confrères est saluée à Cerdon comme marquant le commencement de la Société des prêtres (cf. doc. 114, § 1). Une mission à la Balme en janvier 1825 et d'autres sans doute durant l'hiver inaugurent le premier ministère mariste (cf. doc. 131). Enfin, en juin 1825, à quelques jours de distance, les trois prêtres et les soeurs quittent Cerdon pour Belley, où les appelle Mgr Devie. L'évêque loge les premiers, avec le titre de missionnaires diocésains, dans les combles du petit séminaire, et vend aux secondes la maison de campagne de l'évêché, Bon-Repos, qui devient ainsi la première maison-mère des soeurs maristes.

- Dans le diocèse de Lyon, l'institut des petits frères de Marie, désormais installé à l'Hermitage, cherche, au début de 1825, à obtenir l'autorisation gouvernementale, tentative qui, d'ailleurs, aboutira à un échec, mais qui confirme l'intérêt pris par l'archevêché à cette oeuvre (cf. docc. 129; 130). Du côté de ses Soeurs de Marie, dont un groupe subsiste à Rive-de-Gier même après la fondation de Saint-Clair, M. Courveille ne rencontre pas le même appui du côté du conseil archiépiscopal, déjà défiant, semble-t-il, à son égard (cf. docc. 110; 132; 141, 19°). Enfin, au mois d'août 1825, le diocèse de Lyon voit lui aussi se constituer, grâce à l'arrivée de M. Terraillon à l'Hermitage (cf. doc. 141, 18°), un premier groupe stable de trois aspirants maristes prêtres qui fait pendant à celui de Belley. Les deux groupes se rendent alors mutuellement visite ( cf. doc. 746, § 3 ). Tout va être remis en question l'année suivante par la disparition forcée de M. Courveille.

 

2

LE RETRAIT DE M. COURVEILLE ( 1825-1826)

 

Avec l'arrivée de M. Terraillon à l'Hermitage en août 1825, il devenait nécessaire de définir les attributions des trois prêtres de la maison vis-à-vis des frères et notamment de nommer officiellement un supérieur pour ces derniers. Jusque là, en effet, l'abbé Champagnat avait laissé M. Courveille agir en supérieur à l'Hermitage, mais pour les frères le vrai supérieur restait celui qui les avait réunis et formés. Dans ces conditions, M. Courveille fit procéder à une élection dont le résultat désigna clairement M. Champagnat comme supérieur des frères. Le candidat évincé chercha alors à provoquer l'élection d'un supérieur pour les prêtres, mais l'idée ne fut pas retenue (cf. docc. 625, § 4; 757, §§ 27-31 ).

Supportant difficilement cette défaite psychologique, M. Courveille profita d'une longue absence de M. Champagnat, parti faire la visite des écoles en novembre et décembre 1825, pour essayer de regagner du terrain en critiquant ouvertement l'administration de M. Champagnat. Ce dernier, revenu fatigué de ses visites, fit dans les derniers jours de l'année une très grave maladie qui l'obligea, le 6 janvier 1826, à faire son testament ( doc. 148 ). Durant cette maladie et 1a convalescence qui la suivit, M. Courveille reprit en main la maison et, par sa sévérité excessive, jeta le trouble et la confusion dans la communauté, dont la situation financière était par ailleurs critique. Finalement, il n'hésita pas à dénoncer l'administration de M. Champagnat à l'archevêché. Ce dernier envoya le troisième vicaire général, chargé des communautés, M. Cattet, faire une visite canonique qui fut sévère (cf. doc. 757, §§ 33-45).

A la suite de cette visite, M. Champagnat aurait-il été écarté de la direction des frères au profit de M. Courveille si aucun fait nouveau n'était survenu? C'est possible. Toujours est-il que, peu après la conclusion de la visite, M. Courveille fut compromis dans une affaire de moeurs avec un jeune postulant et, sur le conseil de M. Terraillon, qui avait découvert la chose, partit en retraite à la Trappe d'Aiguebelle. De là, il écrivit à ses confrères une lettre habile (doc. 152) par laquelle, tout en annonçant son intention de se fixer dans ce monastère, il posait des jalons pour son rappel à l'Hermitage et sa reconnaissance comme supérieur. M. Terraillon lui répondit au nom de tous de rester où il était (cf. docc. 625, § 5; 750, §§ 10-12).

En fait, dès réception de la réponse de l'Hermitage, M. Courveille quitta Aìguebelle, vint à Lyon, où l'archevêché lui signìfia qu'il n'y avait plus de place pour lui dans le diocèse, essaya mais en vain de se faire recevoir par les confrères de Belley et, après une tentative à Chambéry auprès de Mgr Bigex, alla s'établir dans le diocèse de Grenoble (cf. docc. 156; 551, § 12; 625, § 5; 689, § 8). Ayant gagné la confiance de l'évêque et du préfet, il établit dans l'abbaye de Saint-Antoine (Isère) ses religieuses de Saint-Clair et un noviciat de frères où quelque sujet de l'Hermitage vint le rejoindre (cf. doc. 625, § 6). Incapable de maintenir l'engagement qu'il avait pris de fournir de ces frères aux communes rurales, il se vit retirer tout subside et dut se retirer en 1829. Ses frères se dispersèrent, mais ses religieuses se maintinrent à Saint-Antoine comme congrégation locale jusqu'aux lois anticléricales de 1903. Vers 1844, il fut question de les réunir aux soeurs maristes, mais la tentative ne réussit pas (cf. docc. 771-777 ).

Après avoir quitté Saint-Antoine en 1829, M. Courveille, après avoir tenté sa chance dans divers diocèses, revint dans le diocèse de Lyon et s'établit dans le pays natal de sa mère, Apinac, où il avait des propriétés. Il était là comme prêtre habitué sans pouvoirs de confesser. Au début de 1833, un grave scandale de moeurs l'obligea à partir précipitamment.. Reçu dans le diocèse de Bourges comme aumônier d'hôpital, il dut le quitter à la suite d'un nouveau scandale en août 1835. II se transféra alors dans le diocèse de Reims, qu'il quitta brusquement en avril 1836, sans doute à la suite d'une nouvelle affaire. Reçu en août 1836 comme postulant à l'abbaye de Solesmes, que venait de fonder dom Guéranger, il y trouva le port de salut. Profès bénédictin le 21 mars 1838, il mourut dans ce monastère le 25 septembre 1866, après une vie religieuse des plus édifiantes (cf. OM l, pp. 935-949). Entre temps, le P. Mayet avait pu retrouver sa trace, prendre contact avec lui et en recevoir de précieux détails sur les origines de la Société ( cf. OM 2, pp. 557-558 ).

 

3

LES DEUX GROUPES DE 1826 À 1830

La disparition de M. Courveille en 1826 mit en évidence la personnalité de l'abbé Jean-Claude Colin seul capable désormais de maintenir l'unité de la Société. Quatre ans s'écouleront cependant avant qu'une élection régulière le désigne comrne supérieur central des deux groupes. En attendant, la situation des aspirants maristes évolue lentement dans l'un et l'autre diocèse.

- A Belley, les abbés Jean-Glaude Colin et Déclas, auxquels se joint M. Jallon en octobre 1825, sillonnent durant quatre ans comme missionnaires les montagnes du Bugey. Leur point d'attache est le petit séminaire, où ils sont en butte à la jalousie et aux attaques des professeurs. A partir de 1826, cependant, le nouveau supérieur du séminaire les protège et s'agrège même à la Société ainsi qu'un nouveau missionnaire, M. Humbert, en 1828. Le 25 mars 1829, M. Pichat meurt et, à Pâques de la même année, Jean-Claude Colin est appelé par Mgr Devie à lui succéder à la tête du petit séminaire de Belley, dont les Maristes conserveront la direction jusqu'en 1845. Ainsi donc, dans le diocèse de Belley se trouvent inaugurés successivement, sous la direction personnelle de Jean-Claude Colin, les deux ministères principaux de la Société: missions et éducation. A ces deux premières oeuvres, qui ont exercé une influence décisive sur l'élaboration de la manière apostolique mariste, seront consacrées respectivement la huitième et la neuvième conférence. Quant aux soeurs maristes, qui ont émis, le 6 septembre 1826, leurs premiers voeux (cf. doc. 160), elles voient leur nombre s'accroître régulièrement, sans pourtant songer à s'étendre hors de Bon-Repos.

- A Lyon, le retrait de M. Courveille, suivi de celui de M. Terraillon, qui quitte l'Hermitage à la Toussaint 1826, détermine une situation critique (cf. doc. 173). M. Champagnat ne peut, en effet, faire face tout seul aux multiples responsabilités de la direction de son institut, dont la situation financière reste difficile, mais qui ne cesse de s'accroître. En mai 1827, l'archevêché lui envoie un diacre, M. Séon. Ce dernier entend bien se rattacher à la branche des prêtres et, après avoir paru un instant douter de la possibilité de ressusciter cette dernière dans le diocèse de Lyon ( cf. doc. 625, § 11 ), M. Champagnat s'emploie courageusement à lui redonner vie. En 1828 entre à l'Hermitage M. Bourdin, en 1829 M. Pompallier. Lyon a donc, comme Belley, son groupe de prêtres vivant en communauté, bien que, pas plus ici que là, l'administration épiscopale n'accepte de voir en eux plus que des prêtres séculiers travaillant temporairement à une oeuvre commune et strictement diocésaine.

 

4

ELECTIN D'UN SUPÉRIEUR CENTRAL

ET AFFERMISSEMENT DE LA SOCIÉTÉ (1830-1832)

En 1830, commence à se faire sentir vivement l'urgence d'établir entre les deux groupes de Lyon et Belley un « centre d'unité », c'est-à-dire un supérieur régulièrement élu qui puisse coordonner ce qui se fait dans l'un et l'autre diocèse en référence au projet initial de Société de Marie.

Après avoir répugné à procéder à cette élection à l'insu des deux administrations diocésaines (cf. docc. 209; 212), M. Colin dut s'y résoudre, vu l'impossibilité de faire admettre par ces dernières un acte qui non seulement affirmerait la nature religieuse de l'oeuvre mais encore son caractère supra-diocésain. En septembre ou octobre 1830, les aspirants du diocèse de Lyon, moins M. Terraillon, qui vit séparé de ses confrères, se rendent à Belley et là, conjointement aux aspirants de ce diocèse, élisent Jean-Claude Colin comme supérieur central (cf. doc. 221).

Pour renforcer cette organisation de la Société, il est décidé à Belley que les confrères de Lyon procéderont également à l'élection d'un supérieur provincial qui aura autorité sur les confrères de ce diocèse, tout en restant soumis lui-même au supérieur central. Après cinq jours de réunions et délibérations à l'Herrnitage au cours desquels est rédigé un sommaire de règles, M. Champagnat est élu, le 8 décembre 1830, « recteur provincial » (cf. doc. 224). Cette élection est notifiée à l'archevêché, qui, ne voulant ni la ratifier ni la contredire - car il la trouve sage - nomme d'autorité M. Champagnat au poste auquel il vient d'être élu (cf. doc. 226).

Peu après ces arrangements, au mois de janvier 1831, M. Séon s'établit comme vicaire dans la paroisse de Valbenoîte près de Saint-Etienne, dont le curé, M. Rouchon, offre aux Maristes de leur céder un ancien prieuré qu'il occupe, à condition qu'ils lui fourniront toujours des vicaires. M. Rouchon songe même plus ou moins à s'agréger à la Société, mais le P. Colin l'en dissuadera.

L'existence de cette maison de Valbenoîte va permettre, deux ans plus tard, en novembre 1832, d'y établir la communauté des prêtres en la séparant de celle des frères, qui reste à l'Hermitage. Depuis la fin de 1831, M. Colin demandait cette séparation, qui avait pour but de permettre au groupe des prêtres d'acquérir son autonomie et sa physionomie propre (cf. docc. 441-442). M. Champagnat s'y opposait, de peur que le départ de ses confrères ne dégarnît trop l'Hermitage. Mais l'affaire, mise aux voix, fut décidée dans le sens de la séparation (cf. doc. 625, § 23). M. Séon fut alors élu supérieur des prêtres dans le diocèse de Lyon (cf. doc. 255): il avait à ce titre sous son autorité d'une part les confrères résidant avec lui à Valbenoîte, d'autre part M. Champagnat et le confrère qui lui servait d'auxiliaire à l'Hermitage, et enfin M. Pompallier, détaché à Lyon comme aumônier du pensionnat de la Favorite. Cette dernière maison, fondée par de fervents laïcs qui désiraient se rattacher à la Société de Marie, devint le centre des frères tierçaires de Marie, création originale qui tenait du tiers ordre et de l'institut séculier avant la lettre (cf. docc. 392; 720, §§ 3-8).

Tandis qu'à Lyon les prêtres aspirants à la Société bénéficient d'une maison autonome, ceux de Belley réussissent à obtenir de Mgr Devie la même faveur. L'évêque leur cède un ancien couvent, la Capucinière, où Pierre Colin vient s'établir en novembre 1832 avec MM. Déclas et Jallon et cinq frères (cf. doc. 747). A ces frères destinés aux travaux manuels a été donné le nom de frères Joseph, pour les distinguer des frères maristes voués à l'enseignement. On a là les premiers frères coadjuteurs de la Société, mais leur situation est loin d'être tranchée et sera l'objet d'une lente clarification au cours des années suivantes (cf. docc. 322; 331; 345).

Pour maintenir l'unité entre les deux groupes de Lyon et de Belley, la forte personnalité de l'abbé Jean-Claude Colin joue un rôle important. Elle s'exprime dans les lettres à la fois fermes et prudentes qu'il adresse à ses confrères depuis son élection comme supérieur central (cf. notamment docc. 221; 241).

Le lien entre les deux diocèses est assuré aussi par les retraites communes. En 1831, dix-huit aspirants maristes se réunissent à Belley pour une retraite prêchée par le supérieur des missionnaires de Savoie, M. Favre, lequel encourage beaucoup M. Colin à poursuivre l'oeuvre (cf. docc. 456; 658). Plusieurs ne persévéreront pas, mais déjà la Société a acquis quelques-uns de ses meilleurs éléments : un abbé Convers en 1830, le trio Bret, Chanel, Maîtrepierre en l'été 1831. M. Terraillon, tout en gardant son poste de curé à Saint-Chamond, participe aussi à cette retraite (cf. doc. 236, § 2). En 1832, c'est au tour des confrères de Belley de se réunir à ceux de Lyon pour la retraite pastorale de ce diocèse. Ils y rencontrent M. Courveille, alors prêtre habitué à Apinac, qui profite de la circonstance pour essayer de reprendre l'ascendant sur ses anciens compagnons. Jean-Claude Colin se charge de lui faire comprendre que l'on est au courant de certains faits et qu'il n'a rien à attendre de ce côté. Ce sera le dernier contact direct des aspirants maristes avec celui qui avait le premier lancé l'idée de leur Société (cf. doc. 819, § 78 a).

Ainsi donc, à la fin de 1832, les deux groupes de Lyon et de Belley apparaissent non seulement pourvus d'une certaine organisation interne avec chacun un supérieur élu et une maison autonome lui appartenant, mais doués entre eux d'une réelle unité spirituelle. Chacune des deux administrations épiscopales persiste, certes, à ne voir dans les aspirants maristes de son diocèse que des prêtres séculiers, et Mgr Devie essaye même par deux fois de forcer la main à ceux de Belley pour faire d'eux un corps de missionnaires diocésains (cf. docc. 746, §§ 19-22; 752, §§ 30-31). Mais dans les faits le caractère supra-diocésain de la Société s'impose, et l'abbé Colin sait habilement utiliser l'espèce de rivalité qui s'est créée entre les deux diocèses pour faire avancer les affaires de la Société. Il dira un jour à ce propos, dans une phrase qui exprime d'une manière très caractéristique l'union en lui d'une visée surnaturelle fondamentale et de cet art d'utiliser gens et situations qui est le propre des tempéraments passionnés : « Je les pousse l'un par l'autre, et l'oeuvre de Dieu se fait » (cf. doc. 752, § 29). Discret humour, foi réelle, profonde connaissance des hommes et des choses : tout le P. Colin est dans ces mots.

Les résultats de cette prudente diplomatie se feront sentir en 1833, quand le supérieur central obtiendra des deux évêques l'autorisation de se rendre à Rome et soumettra ainsi l'avenir de la Société à l'instance suprême de l'Eglise. Mais avant d'en arriver à cette phase décisive de l'histoire des origines, il faudra revenir, dans les prochaines conférences, sur les deux ministères des missions et du collège de Belley, dont l'exercice courageux a donné à la Société naissante cette solide consistance, cette personnalité spirituelle et apostolique qui, plus que tout le reste, ont contraint, pour ainsi dire, les évêques à reconnaître son caractère religieux et spécifique.