COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.


DIX-HUITIÈME CONFÉRENCE
LE GOUVERNEMENT DES BRANCHES
ET LEUR SEPARATION PROGRESSIVE

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APERÇU GÉNÉRAL

La Société de Marie telle qu'elle avait été projetée au grand séminaire de Lyon en 1815-1816 comprenait, outre les prêtres, des frères, des soeurs et un tiers ordre (cf. supra, p. 27). Effectivement, dès 1817 avaient pris naissance un institut de frères à la Valla et une congrégation de soeurs à Cerdon (cf. supra, pp. 34 et 36). Après la séparation des diocèses, chacune de ces deux congrégations avait été approuvée comme congrégation diocésaine, les frères à Lyon et les soeurs à Belley (cf. supra, .p. 56). A partir de 1832, était apparu par ailleurs un type de frères dits frères Joseph, consacrés aux tâches matérielles dans les maisons des pères (cf. supra, p. 63), tandis que des laïcs tertiaires étaient groupés, à partir de la même année, par M. Pompallier à Lyon et les abbés Colin à Belley (ibid.).

En 1833-34, le plan de cette société à quatre branches, présenté au Saint-Siège par 1'abbé Colin, avait été repoussé par la S. Congrégation des Evêques et Réguliers sur l'instigation du rapporteur de l'affaire, le cardinal Castracane (cf. supra, pp. 94-95). Quand, deux ans plus tard, comme suite à l'acceptation par les Maristes de la mission d'Océanie, le même cardinal avait donné un avis favorable à l'approbation de la société des prêtres, il avait pris garde à ce que le décret de la S. Congrégation du 11 mars 1836 exclût expressément de cette approbation les frères, les soeurs et le tiers ordre (cf. supra, p. 108, et doc. 373, § 3). Elu, le 24 septembre suivant, supérieur général de la Société de Marie, le P. Colin n'avait donc, à ce titre, juridiction au sens strict que sur les pères maristes et non sur les autres branches.

Toutefois, ce que Rome n'avaìt pas voulu faire en 1836, elle ne l'excluait pas nécessairement pour l'avenir. On pouvait espérer qu'un jour elle approuverait l'union des branches sous un seul supérieur général. Dans l'attente de cette décision, qu'ils souhaitaient aussi vivement que les pères, les frères et les soeurs continuèrent à regarder le P. Colin comme leur supérieur général, et ce dernier n'eut aucun scrupule à agir en cette qualité dans les affaires importantes, laissant par ailleurs une grande liberté d'action aux supérieurs des branches.

En mai 1842, le P. Colin retourna à Rome, portant les constitutions qu'il venait de mettre au point, lesquelles prévoyaient explicitement l'union des branches (cf. supra, p. 177). En fait, là encore il se heurta aux réticences du cardinal Castracane (cf. doc. 544, §§ 11-22) et, renonçant à presser l'affaire, retira ses constitutions. Revenu en France, il commença à envisager sérieusement l'hypothèse de l'autonomie des branches, tout en cherchant à leur garder un certain lien avec la société des pères, par exemple en en faisant des sections du tiers ordre.

Le chapitre général de 1845 fit un pas décisif dans le sens de la séparation en établissant que la société des pères ne pourrait accepter de supériorité à l'égard des soeurs maristes et que le supérieur général des pères ne serait plus celui des frères, tout en conservant sur ces derniers un droit assez vague de haute surveillance.

Dès lors, les interventions du P. Colin dans les affaires internes des branches collatérales allèrent en se raréfiant. Avant sa démission, tant les frères que les soeurs, quoique d'une manière bien différente, avaient acquis la structure de congrégations entièrement autonomes, cependant qu'à l'intérieur de la société des pères la classe des frères coadjuteurs s'était solidement constituée sous la forme qu'elle a encore actuellement.

Laissant de côté pour le moment la question du tiers ordre, branche d'un caractère tout spécial dont l'histoire demande à être traitée à part, on se propose de reprendre rapidement ci-dessous, pour chacune des branches des frères maristes, des soeurs maristes et des frères coadjuteurs, l'histoire de leurs rapports avec la société des pères sous le généralat du P. Colin. Pour des raisons pratiques, on commencera par les frères coadjuteurs, l'histoire de la création de cette branche éclairant puissamment l'histoire des rapports entre pères et frères maristes.

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LES FRÈRES COADJUTEURS

La règle de Cerdon prévoyait l'existence de fratres adjutores adonnés aux travaux manuels (cf. texte h, 2, 14, 20: Ant. textus, fasc. 1, pp. 19-22), mais c'est en février 1832 que pour la première fois il est fait allusion dans la correspondance à des frères destinés essentiellement à ces tâches auxiliaires, sous le nom de frères Joseph (cf. doc. 242, § 3). Le P. Colin les voit alors comme formant une classe particulière à l'intérieur de la branche des frères, l'habit et l'emploi faisant la principale différence (ibid. et doc. 246, § 2). Trois de ces frères sont présents à Belley lors de la bénédiction de la chapelle de la Capucinière, le 7 octobre 1832 (cf. doc. 251, § 2). Ce sont Jean-Baptiste Cartier, ancien enfant de l'assistance publique placé dans les environs de Cerdon et qui avait connu les abbés Colin dans cette paroisse; Théodore Millot II, neveu de la fondatrice des soeurs maristes, et François-Xavier Girod, jeune homme du Jura. Ces trois frères ont donc été recrutés tout à fait indépendamment du P. Champagnat.

Il s'en faut, cependant, que les idées du P. Colin au sujet de ces frères soient alors pleinement fixées. Dans sa supplique à Grégoire XVI du 23 août 1833, il les présente comme une classe de la branche des frères (cf. doc. 282, § 5), mais dans le Summarium de la même année, il les mentionne dans le chapitre concernant les prêtres et non dans le chapitre consacré aux fratres laici (cf. Ant. textus, fasc. l, pp. 78 et 80-81). Dans sa pensée, il n'y a toujours cependant qu'une classe de frères (cf. doc. 322, § 3) et en 1834-35 il envoie les trois frères de Belley prendre l'habit à l'Hermitage (cf. docc. 330, § 3, et 336, § 2), amorçant ainsi une série d'échanges (ibid.) non sans créer de l'inquiétude chez certains frères soucieux de savoir s'ils seraient, en définitive, frères enseignants ou frères servants (cf. doc. 345).

L'approbation de la Société n'apportera pas grand changement à cette situation. Tous les frères jusqu'en 1839, quelle que soit leur provenance, firent profession à l'Hermitage chez les petits frères de Marie. Toutefois, vu la difficulté de concilier les besoins des maisons des pères avec ceux de l'institut enseignant du P. Champagnat, il était temps d'énvisager la nette distinction des deux sortes de frères. A la retraite des pères en 1839, le P. Colin mit aux voix le principe de la division. Plusieurs des anciens, et notamment le P. Champagnat, y étaient opposés, mais les jeunes pères firent nettement pencher la balance en faveur de la séparation, qui fut ainsi décidée.

On ne possède pas de témoignage direct sur la manière dont se fit alors la répartition. Sans doute la possibilité d'opter pour l'une ou l'autre classe fut-elle laissée, mais dans la . pratique il semble que les frères employés dans les maisons des pères en 1839 continuèrent comme frères coadjuteurs, tandis que les autres restèrent petits frères de Marie. Il est certain, en tout cas, que la division eut lieu avant 1844, malgré les affirmations contraires du P. Jeantin ( t. 2, p. 263 ) , victime ici d'une mauvaise interprétation d'un texte du P. Mayet. L'Epitome et les constitutions de 1842 prévoient nettement une classe de frères coadjuteurs parmi celles qui composent la société des pères (cf. Ant. textus, fasc. 2, pp. 20 et 37).

Dès 1840, on commença à recevoir des candidats pour la classe des frères coadjuteurs, et le 25 septembre 1841 eut lieu la première cérémonie de profession de frères dans la maison-mère des pères. Quatre firent le voeu d'obéissance et un les voeux perpétuels. Les professions se succédèrent à un rythme régulier au cours des années suivantes.

La situation eût été parfaitement tranchée s'il n'y avait eu le cas des frères partis pour l'Océanie. Tous ceux qui y étaient partis avant 1839 avaient évidemment fait profession chez les petits frères de Marie. Par ailleurs, à partir de 1839 et durant tout le généralat du P. Colin, l'une et l'autre classe de frères envoyèrent des sujets en Océanie. Or pratiquement, tous ces frères, qui aidaient les missionnaires et vivaient avec eux, se trouvaient, quelle que fût leur provenance, dans la position de frères coadjuteurs. Aussi bien considéra-t-on toujours, chez les pères maristes, que ces frères, du fait de leur départ pour les missions, avaient opté pour les frères coadjuteurs, et tous ceux d'entre eux qui sont morts en Océanie figurent dans notre nécrologe. Mais de leur côté, les frères maristes n'ont cessé de revendiquer comme appartenant à leur institut les frères partis en mission après avoir fait la profession chez eux (ainsi le frère Marie-Nizier, compagnon du P. Chanel) et on ne peut certes leur nier ce droit. Ce qui illustre bien, pourtant, la situation imprécise de ces derniers, c'est la diversité d'attitude adoptée par ceux d'entre eux qui durent retourner en France: alors qu'un frère Charise rentra chez les frères maristes, les frères Justin et Emery, bien qu'ayant eux aussi fait profession chez les frères maristes, finirent leur existence dans les maisons des pères comme frères coadjuteurs.

Enfin, on ne peut manquer de signaler ici une particularité peu connue. En 1847 et 1848, firent profession dans la maison-mère des pères sous le titre de « frères catéchistes », sept sujets qui partirent pour l'Océanie et dans ia suite furent pratiquement assimilés aux frères coadjuteurs. Il n'est pas impossible que le P. Colin ait songé un instant à instaurer dans les missions, à côté des coadjuteurs temporels, une classe spéciale de frères catéchistes.

On se souviendra donc que, sous le généralat du P. Colin et même durant tout le XIXe siècle, la situation de chaque « frère » est à étudier pour elle-même, bien que, à partir de 1839, il n'y ait plus eu, au moins en Europe, de confusion possible entre frères maristes et frères coadjuteurs. Signalons notamment que le frère Blaise Marmoiton, dont la cause de béatification est introduite, est un authentique f'rère coadjuteur ayant fait profession dans la Société de Marie entre les mains du P. Colin le 11 mars 1843.

Quant à la manière dont le P. Colin agissait avec les frères, on se permet de renvoyer à l'ouvrage du P. Jeantin, qui résume bien les données fournies à ce sujet par le P. Mayet (cf. JEANTIN, t. 2, pp. 265-276).

 

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LES FRÈRES MARISTES

1. Du vivant du P. Champagnat (1836-1840).

Au moment où le Saint-Siège approuvait la Société de Marie en excluant expressément de cette approbation les soeurs et les frères, ces derniers comptaient environ deux cents sujets et une trentaine d'établissements (cf. doc. 764, § 2). C'était un institut solidement structuré, qui avait toujours à sa tête son fondateur, le P. Champagnat, et qui, sous sa direction, aurait pu dès ce moment acquérir sa pleine autonomie.

En fait, le P. Champagnat ne songeait nullement à séparer son institut de celui des pères, d'autant plus qu'il était lui-même père mariste et soumis, comme tel, à la juridiction directe du P. Colin. Pour éviter toute équivoque à ce sujet, le P. Colin demanda, lors de la retraite de 1837, au P. Champagnat de bien vouloir remettre sa démission de supérieur des frères, ce que ce dernier s'empressa de faire en toute humilité (cf. doc. 416), après quoi le P. Colin le renomma immédiatement à ce poste.

Durant les deux années suivantes, le P. Champagnat gouverna son institut comme par le passé, et le P. Colin resta en fréquents rapports épistolaires avec lui, l'existence d'une unique branche de frères employés les uns à l'enseignement, les autres au service des pères, posant, comme on l'a dit plus haut, mille problèmes pratiques et entraînant d'inévitables frictions.

La situation s'éclaircit, à la retraite de 1839, avec la séparation des deux groupes de frères. Un mois plus tard, le 12 octobre 1839, le P. Champagnat donne sa démission de supérieur, sur la suggestion du P. Colin, et les frères maristes, réunis à l'Hermitage sous la présidence de ce dernier, élisent pour succéder à leur fondateur l'un des leurs, le frère François (Gabriel Rivat). Ainsi était assurée, du vivant même du P. Champagnat, la continuité du gouvernement de son institut.

A cette époque, la santé du fondateur des frères etait déjá sérieusement ébranlée. Son état s'aggrava au printemps suivant. Après avoir dicté, le 18 mai 1840, un testament spirituel dans lequel il réaffirmait solennellement la dépendance de l'institut des frères vis-à-vis du supérieur général des pères (cf. doc. 417, § 5), il mourut le 6 juin 1840 à l'Hermitage.

2. De 1840 à 1845.

Fidèles à la volonté de leur fondateur et sentant d'ailleurs fortement le besoin d'être soutenus par les pères, les frères maristes continuèrent, après la mort du P. Champagnat, à recourir fréquemment au P. Colin, qui entretint jusqu'en 1845 une abondante correspondance avec le frère François, directeur général.

En tant que supérieur général, le P. Colin joua notamment un rôle important dans l'union réalisée entre les frères maristes et deux autres congrégations diocésaines de frères, respectivement le 31 mars 1842 (frères de l'instruction chrétienne de Valence) et le 19 avril 1844 (frères de l'instruction chrétienne de Viviers).

Pour suivre de plus près les affaires des frères, présider leurs professions, etc., le P. Colin nomma même, après la retraite de 1841, le membre le plus en vue de la Société, en l'espèce le P. Cholleton, l'ancien vicaire général de Lyon qui venait de se faire mariste. Le P. Cholleton garda cette fonction jusqu'en 1845, sans d'ailleurs y réussir pleinement.

Lorsque le P. Colin réunit, en avril 1842, le chapitre général des pères pour leur soumettre les constitutions qu'il venait d'achever avant de les porter à Rome, les frères adressèrent aux capitulants une supplique dans laquelle ils leur demandaient de sanctionner d'une manière solennelle et définitive l'union entre les pères et les frères sous un même supérieur général. Le chapitre fit droit à leur requête, tout en réservant évidemment l'approbation de Rome.

En fait, le Saint-Siège, comme on la dit, n'approuva pas, malgré l'avis favorable des évêques, la demande avancée en ce sens par le P. Colin lors de son voyage à Rome. A vrai dire, aucune décision ne fut prise alors, mais devant la répugnance du cardinal Castracane, le P. Colin retira sa requête (cf. doc. 544, §§ 11-22) et rentra en France très perplexe. Tout en continuant à correspondre comme par le passé avec le frère François, il commença à envisager ouvertement de renoncer à l'union.

3. De 1845 à 1852.

Au chapitre général de 1845, le P. Colin soumit aux pères la question suivante: « Est-il à propos que le supérieur général des prêtres maristes soit aussi le général des frères du méme nom? ». La réponse fut négative, en raison de l'opposition manifestée par le Saint-Siège et de la difficulté pour le supérieur général de faire face aux besoins des deux instituts. On décida de conserver cependant à ce dernier « un droit de haute surveillance au moins répressive en vertu duquel il puisse présider leurs congrégations et au besoin les rappeler avec autorité à l'esprit de la Société sous le double rapport temporel et spirituel ».

La formule, on le voit, était loin d'être précise. Dans la pratique, le P. Colin laissa désormais au frère François l'entière responsabilité de toutes les décisions. Il fit néanmoins, même après cette date, plusieurs séjours chez les frères, fournit des aumôniers à leurs différentes maisons et ne cessa pas de leur porter intérêt.

En 1851, l'institut des frères, qui ne cessait de se fortifier, reçut, le 20 juin, son approbation gouvernementale. L'année suivante, un chapitre général des frères se réunit du 27 mai au 11 juin pour examiner et promulguer les règles codifiées par le frère François et ses assistants. Le P. Colin, qui présida ce chapitre, en profita pour signifier aux frères qu' il y avait lieu de renoncer définitivement à l'idée d'une union des deux branches sous un même supérieur. Cette date peut être considérée comme celle de la séparation officielle des deux branches, bien que des contacts assez étroits subsistèrent même sous le généralat du P. Favre, ainsi qu'on aura l'occasion de le voir dans la quatrième partie de ce cours.

 

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LES SOEURS MARISTES

1.De 1836 à 1842.

Ayant pris naissance à Cerdon sous la direction des deux abbés Colin, les soeurs maristes étaient restées sous leur influence même après que pères et soeurs s'étaient installés à Belley en 1825. Certes, le supérieur canonique de cette communauté féminine était de droit l'évêque, Mgr Devie, mais on espérait toujours qu'un jour la branche des soeurs serait approuvée en même temps que celle des pères sous l'autorité d'un unique supérieur général.

Même après l'approbation des pères seuls en 1836, cette espérance resta vive chez les soeurs. Celles-ci n'ayant que peu de maisons, en l'espèce Bon-Repos (1825), Meximieux (1835), Lyon (1838) et Sainte-Foy (1841), le P. Colin avait encore plus d'occasion que chez les frères d'intervenir dans le gouvernement de leur congrégation, n'hésitant pas à se prononcer sur l'acceptation de postulantes, à demander le changement d'une soeur, à s'opposer à telle ou telle fondatian nouvelle, etc. Jusqu'en 1842, tous les actes de propriété des soeurs sont passés au nom des pères.

Avec les titres successifs de supérieur des soeurs (1839) puis de provincial des soeurs (1841), Pierre Colin exerce, en principe au moins, l'autorité que lui délègue son frère, supérieur général.

2. De septembre 1842 à septembre 1845.

Après avoir constaté à Rome que le Saint-Siège n'était pas favorable à l'union des branches, le P. Colin commence à chercher une solution pour la branche des soeurs. Jusqu'ici il l'avait envisagée surtout comme une branche priante de la Société, appelée à peu de développement. Il fallait désormais lui donner les fins et la structure d'une vraie congrégation.

Pour cela, le supérieur général étudie le droit canonique des religieuses et s'essaye à bâtir une règle pour les soeurs, s'orientant vers lidée d'une congrégation diocésaine, songeant à leur ôter le nom de maristes pour éviter de faire parler malicieusement, et hésitant sur certains points fondamentaux comme la clôture et le genre de vie plus ou moins monastique (office récité à la chapelle ou en travaillant).

Durant le même temps, il continue à intervenir largement dans le gouvernement de la congrégation, prenant même, au début de 1844, l'initiative d'une vaste réorganisation du personnel et consultant les supérieures des maisons sur les points de règle en suspens.

Sur plusieurs de ces points, toutefois, le P. Colin se trouve en désaccord avec la supérieure générale et fondatrice, mère Saint-Joseph, qui oppose une certaine résistance à ses vues, notamment sur la question de l'office, qu'elle veut voir récité en travaillant, soutenue sur ce point par Mgr Devie.

Sentant cette résistance de la supérieure et de lévêque, le P. Colin abandonne la rédaction de la règle des soeurs et cesse en partie de s'occuper d'elles, songeant de plus en plus à séparer les deux congrégations.

Au chapitre général des pères en 1845, il est décidé à l'unanimité que la Société de Marie n'acceptera pas la supériorité des maisons des soeurs - et donc a fortiori de la congrégation comme telle -, ce qui revient à faire des soeurs une congrégation diocésaine et non la branche féminine d'une congrégation, comme il en existe pourtant beaucoup dans l'Eglise.

3. D'octobre 1845 à juillet 1852.

En fait, cette solution n'est pas du goût des soeurs ni de Mgr Devie, qui voudrait toujours que le P. Colin acceptât la supériorité des soeurs et fît leurs règles. Comme le P. Colin sait que ses idées ne cadrent pas avec celles de l'évêque et de la supérieure générale, il s'y refuse, et les années 1846 à 1848 se passent ainsi dans une tension pénible, très mal connue d'ailleurs, sans que rien soit décidé sur l'avenir des soeurs.

En 1849, les difficultés rebondissent lorsque mère Saint-Joseph envisage d'accepter certaines fondations dans de petites paroisses. Le P. Colin les désapprouve, les jugeant incompatibles avec la clôture ou au moins la semi-clôture qu'il a toujours désirée pour les soeurs maristes. A cette occasion, il déclare que le temps est venu de fixer les bases de la congrégation des soeurs et invite mère Saint-Joseph à s'entendre pour cela avec les supérieures des différentes maisons, ne se réservant pour lui que le droit de donner son avis après coup.

En fait, renonçant à la procédure qu'il venait lui-même de fixer, le P. Colin réunit, en octobre 1849, les supérieures locales et se mit d'accord avec elles sur un certain nombre de points qu'il soumit à l'agrément du cardinal de Bonald et qui comprenaient notamment l'abandon du nom de maristes, la demi-clôture et le principe d'une supérieure par diocèse.

De son côté, mère Saint-Joseph se décidait au même moment à mettre par écrit les idées fondamentales sur sa congrégation, qu'elle estimait tenir d'en haut, et rédigeait un texte de constitutions qui ne nous est pas parvenu.

La situation était délicate, et un échange de lettres douloureux s'ensuivit entre le fondateur et la fondatrice. Il était clair de plus en plus qu'aux divergences de vues sur la nature de la congrégation étaient intimement mêlées des questions de personnes et qu'une solution ne pourrait intervenir tant que vivrait Mgr Devie, qui soutenait mère Saint-Joseph, et tant que cette dernière se trouverait à la tête de la congrégation.

En effet, un certain manque d'éducation de la fondatrice (cf. doc. 513, b), d'obligation où elle s'était trouvée de garder auprès d'elle plusieurs membres de sa famille et une certaine rudesse à l'antique qu'elle avait conservée dans son gouvernement avaient rendu son supériorat pénible à de nombreuses soeurs, dont le point de vue était partagé par l'évêque coadjuteur de Belley, Mgr Chalandon, et par le P. Colin. Par ailleurs, mère Saint-Joseph concevait la vie religieuse comme faisant une grande place au travail, largement ouverte sur les nécessités du prochain et donc sans clôture extérieure et sans culte excessif de l'horaire; or cette conception n'était guère partagée par les principales soeurs, qui aspiraient à une vie plus monacale et plus régulière. Le P. Colin, là encore, appuyait le point de vue de ces soeurs, et la situation de la fondatrice devenait ainsi de plus en plus difficile.

4. Les chapitres de 1852 et 1853.

Le 25 juillet 1852, Mgr Devie mourait à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Aussitôt, son coadjuteur avec droit de future succession, Mgr Chalandon, prenait la direction du diocèse et chargeait le P. Colin d'organiser définitivement les soeurs maristes.

Un chapitre se réunit à cet effet à Belley du 23 au 30 août 1852. En présence de l'évêque, furent votés à l'unanimité tous les points sur lesquels le P. Colin insistait depuis de longues années: les soeurs cesseraient de s'appeler maristes; elles dépendraient de l'évêque du lieu et n'auraient pas de supérieure générale mais des supérieures diocésaines élues pour cinq ans; l'office serait psalmodié par des soeurs de choeur tandis que les soeurs enseignantes et les converses pourraient en être dispensées; la demi-clôture devrait être strictement observée, etc.

Bien que tout ceci ne correspondît guère à ses propres idées, mère Saint-Joseph accepta elle aussi tous ces points, désireuse avant tout de conserver l'unité de la congrégation. On convint enfin que le chapitre se réunirait à nouveau à Pâques de l'année suivante pour les élections.

Effectivement, au mois d'avril 1853, eut lieu un nouveau chapitre. Mère Saint-Joseph y donna sa démission, et à sa place fut élue une nouvelle supérieure générale, mère Saint-Ambroise, le temps ne semblant pas encore venu d'élire une supérieure distincte pour chacun des deux diocèses. Avec cette élection, toute une période se terminait, et la congrégation de Marie inaugurait une nouvelle période de son existence, théoriquement indépendante de la direction des pères. Sans anticiper ici sur la suite de l'histoire, disons d'un mot qu'en fait aucun des points établis en 1852 ne sera maintenu par la suite et que la congrégation se ressentira très longtemps du départ incertain qu'elle avait pris, ce qui explique en grande partie la lenteur de son développement. Actuellement, les soeurs maristes savent qu'elles ne peuvent comprendre pleinement leur vocation qu'en recourant à la fois aux intuitions de leur fondateur et de leur fondatrice, lesquelles, avec le recul du temps, apparaissent moins opposées que complémentaires.

* * *

Ainsi donc, au moment de la démission du P. Colin en 1854, la primitive Société de Marie à plusieurs branches avait fait place à trois congrégations bien distinctes, mais ce n'est qu'après avoir vu l'histoire postérieure de ces trois congrégations qu'il sera permis, au terme du présent cours, de déterminer ce que chacune d'elles a gardé de l'inspiration originelle.