COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE
Auteur : Jean Coste S.M.
DIX-NEUVIÈME
CONFÉRENCE
LA VIE
DANS LA SOCIÉTÉ
SOUS LE GÉNÉRALAT DU P. COLIN
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BREF APERÇU SOCIOLOGIQUE
l. Nombre des Maristes.
Au soir du 24 septembre 1836, la Société de Marie comptait vingt profès prêtres. Au moment de la démission du P. Colin en mai 1854, elle en comptait 258, soit douze fois plus. Durant les six premières années du généralat, la progression avait été assez lente (soixante professions), mais par la suite elle avait augmenté rapidement et, à partir de 1844, elle s'était établie autour du chiffre moyen de dix-huit professions par an. Notons tout de suite que, durant tout le généralat du P. Favre, malgré l'augmentatìon du nombre des maisons, cette moyenne de dix-huit professions annuelles restera stationnaire. Ce n'est que sous le généralat du P. Martin, quand seront érigées plusieurs provinces hors de France, que le nombre des professions fera un nouveau bond en avant. On peut donc dire que le chiffre atteint par le P. Colin était relativement élevé et témoigne de l'attraction exercée par la Société naissante.
Quant aux frères coadjuteurs, ils furent loin de croître en proportion, mais on se souviendra de ce que l'on a vu dans la dix-huitième conférence sur le handicap découlant pour cette branche du fait qu'elle avait été originellement confondue avec celle des frères maristes. Quatre de ces derniers devinrent frères coadjuteurs lors de la séparation en 1839 et, au cours des années suivantes, trente-trois nouveaux sujets firent profession dans la branche des frères coadjuteurs. Si l'on tient compte des départs et des décès, les frères ne devaient pas être plus de vingt-quatre environ au moment de la démission du P. Colin, sans compter les dix-huit frères maristes aidant les missionnaires en Océanie et dont on a vu qu'ils fìgurent à la fois sur nos registres et sur ceux des petits frères de Marie.
2. Provenance géographique.
Née dans les diocèses de Lyon et Belley, la Société se recruta surtout évidemment, sous le généralat du P. Colin, dans le sud-est de la France. Mais on sera heureusement surpris de constater que très vite elle attira des vocations des points les plus reculés de France et même de l'étranger. Voici la statistique, par diocèses d'origine, de tous les Maristes ayant fait profession dans la branche des prêtres avant le 10 mai 1854: Lyon (84), Belley (41), Clermont-Ferrand (14), Tarentaise (11), Chambéry et Le Puy ( 8 ), Angers, Autun, Bayeux, Nantes, Valence, Viviers (7), Grenoble (6), Digne et Moulins (5), Besançon (4), Albi, Amiens, Bordeaux, Cahors, Châlons, Nîmes (3), Aire, Avignon, Coutances, Fréjus, Gap, Metz, Montpellier, Nancy, Paris, Rennes, Rodez, Saint-Claude, Saint-Flour, Troyes (2), Annecy, Arras, Asti, Carcassone, Fribourg, Hildesheim, Luçon, Nevers, Orléans, Perpignan, Saint-Dié, Sées, Toulouse, Tournai, Valencia, Vannes ( 1 ).
On notera que les Savoyards, au nombre de dix-neuf, ne sont pas alors citoyens français mais piémontais. Comme autres non-Français, on compte le P. Ottaviano Molino du diocèse d'Asti, le P. Vicente Codina de Valencia, le P. Capouillet de Tournai, le P. Perret de Fribourg en Suisse, le frère scolastique Ch.-H. Weber de Hildesheim (Hanovre), qui ne resta pas. Sur d'autres étrangers ayant passé au scolasticat sans faire les voeux, cf. infra, p. 198.
3. Origine des vocations.
Avant tout, on gardera présent à l'esprit que la Société de Marie n'a pas alors d'école apostolique et donc pas de recrutement régulier de vocations d'enfants. Le collège de Valbenoîte, pris en 1845, donnera quelques vocations avant 1854, mais les autres ne deviendront une source de recrutement que sous le généralat du P. Favre. Ceux qui s'orientent vers la Société de Marie ne sont donc pas des adolescents, mais des adultes qui ont ehoisi la Société de Marie sans avoir été formés par elle. (Les anciens du petit séminaire de Belley, entrés nombreux dans la Société, constituent un cas à part. Comme ils ont généralement fait du grand séminaire avant d'entrer dans la Société, il est difficile de déterminer ceux pour qui la vocation à la Société date de leur première formation et ceux qui y ont songé plus tard).
Ceux qui choisissent ainsi la Société de Marie sont en grande majorité des prêtres ou séminaristes, c'est-à-dire des gens déjà orientés vers le service du Seigneur et attirés par la vie religieuse ou missionnaire. Quant au motif qui fait choisir la Société de préférence à d'autres congrégations religieuses, le nom de Marie joue chez la plupart un grand rôle.
C'est ainsi qu'entrent dans la Société des prêtres ayant déjà occupé dans leur diocèse des postes importants, tels ceux de vicaire général (P. Cholleton), de secrétaire d'évêché (P. Mathieu), de directeur de séminaire (PP. Dussurgey, Gouchon, Girin ) ; des curés (PP. Eymard, Ducharne, Mgr Douarre), des vicaires ou autres jeunes prêtres (PP. Lagniet, Mayet).
Nombreux sont aussi les séminaristes qui se décident pour la Société de Marie soit après un an de théologie, soit souvent au moment du diaconat.. Les grands séminaires de Lyon et de Belley fournissent ainsi un fort contingent. Le séminaire dc philosophie d'Alix voit, en 1843, partir cinq sujets. Mais les autres grands séminaires donnent aussi. Parfois, les sujets voudraient venir sans le consentement de leur évêque, mais le P. Colin, toujours respectueux de l'épiscopat, les refuse même s'il a le droit pour lui.
Outre ces vocations d'ecclésiastiques, la Socïété reçoit aussi, en nombre bien moindre, des laïcs: des professeurs, tels les messieurs de la Favorite qui avaient été tertiaires de M. Pompallier (PP. Delaunay, Dominget, Philipon) ou les PP. Denis et Chauvineau, des anciens négociants (PP. Ducournau, Rocher, Raccurt), des militaires (P. Lampila), un notaire (P. Viennot), etc.
Ce recrutement d'adultes explique en grande partie la qualité des vocations et le peu de défections qui ont caractérisé la première génération mariste.
4. Répartition des oeuvres maristes.
Le P. Colin n'a pas fondé, durant son généralat, moins tle vingt-sept maisons en Europe, n'hésitant pas d'ailleurs à fermer plusieurs d'entre elles le moment venu ou à les transférer. Sur ce nombre on compte:
- quatre maisons de formation: la Capucinière (1834), la Favorite (1841), Bon-Encontre (1847 ), Montbel (1853);
- douze résidences de missionnaires: Puylata, qui est aussi maison-mère (1837), Marcellange ( l 842 ), Moulins ( 1845), Agen (1843), Paris (1843), Bon-Encontre (1847), Londres ( 1850), Toulon ( 1852), la Neylière ( 1852), Valenciennes ( 1852 ), Riom ( 1853 );
- six collèges: Valbenoîte ( 1845), Langogne ( 1847), la Seyne ( 1849), Saint-Chamond (1850), Brioude ( 1853 ), Montluçon (1853);
- trois grands séminaires: Moulins (1847), Digne (1849), Nevers (1852); et le petit séminaire de Digne (1853); on peut compter également ici le collège de Belley, que la Société avait depuis 1829 et qu'elle abandonna en 1845;
- enfin une paroisse, prise exceptionnellement en raison du pèlerinage qui lui était attacché: Verdelais (1838).
La politique suivie par le P. Colin dans ses fondations fut donc hardie, mais il dut, par manque de personnel, refuser d'innombrables oeuvres qu'on lui offrait un peu partout (cf. JEANTIN, t. 2, pp. 210-227). On n'oubliera surtout pas que, en plus de ces oeuvres européennes, la Société prit pied, sous le généralat du P. Colin, dans la plus grande partie de nos vicariats actuels d'Océanie, ce qui représente pour la Société naissante un élan apostolique et une dispersion extrêmement courageuse.
Numériquement, signalons que, en 1854, environ 73 pères étaient employés dans les collèges, 65 dans les résidences, une soixantaine en Océanie, 25 dans les séminaires, 17 dans les maisons de formation maristes, 8 à Verdelais et 5 dans des aumôneries.
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LA FORMATION DES SUJE'I'S
Les sujets qui sollicitent leur admission dans la Société de Marie sont envoyés, s'ils sont déjà prêtres, au noviciat de Lyon et, s'ils ont encore à faire ou à terminer leurs études ecclésiastiques, au noviciat-scolasticat de Belley ou à ses filiales.
Le noviciat des prêtres, ouvert à Lyon., montée Saint-Barthélemy, dès 1836, fut d'abord sous la direction du P. Pierre Colin puis du P. Girard. En 1841, il fut transporté à la Favorite avec le P. Cholleton comme supérieur et les PP. Girard et Favier comme maîtres des novices. A partir de 1847 et jusqu'après la démission du P. Colin, le noviciat fut confié au P. Maîtrepierre, qui marqua profondément de son empreinte spirituelle les prêtres qui passèrent par ses mains et qui étaient une dizaine environ chaque année. Son cours sur l'oraison fut publié plus tard par le P. Monfat sous le titre Le guide de l'âme dans l'oraison mentale. D'autres cours subsistent manuscrits, ainsi que l'Hebdomada Mariae, travail assez curieux sur le rosaire. Durant un an et demi, le P. Maîtrepierre, malade. fut remplacé par le P. Eymard. Sur ce noviciat de la Favorite, cf. JEANTIN, t. 2, pp. 228-246.
Tous les postulants non prêtres étaient envoyés à la Capucinière de Belley, où le P. Chanut avait commencé dés 1834 à donner quelques cours de théologie et qui fut placé, de 1840 à 1847, sous la direction du P. Dussurgey, puis, de 1847 à 1853, sous celle du P. Favre. A partir de 1848, une annexe de Belley fonctionna à Bon-Encontre, près d'Agen, sous la direction du P. Epalle, mais n'eut jamais plus d'une douzaine d'élèves. En 1853, elle fut transportée à Montbel, près de Toulon.
La Capucinière de Belley, comme ses annexes, est à la fois noviciat et scolasticat. Les futurs Maristes y restent le temps nécessaire à l'achèvement de leurs études ecclésiastiques et, durant ce temps-là, se forment à la vie religieuse grâce aux conférences spirituelles et aux exercices de communauté. Après un an, ils font habituellement le voeu dobéissance et émettent leurs voeux perpétuels avant le sous-diaconat.
Les novices-scolastiques sont loin de constituer un milieu homogène. Des hommes mûrs comme M. Viennot voisinent avec des jeunes gens qui achèvent leurs études secondaires. Les clercs portent la soutane et les autres ont encore leurs habits laïcs. Les non-profès sont financièrement à la charge de leurs familles et les autres à la charge de la Société. Enfin, la maison a un véritable caractère international. Outre les cinq profès non français cités plus haut, ont passé par Belley: Joseph Codina de Valencia, J.-B. Landié de Gênes, deux Irlandais, Garnett et O'Toole, dont le premier avait été converti en Nouvelle-Zélande par Mgr Epalle, un Anglais de Londres, Briscoc. Certains étrangers, dont on n'a pas la certitude qu'ils étaient prêtres, ont fait un essai non à Belley mais à la Favorite, ainsi un Prussien de Münster, un Autrichien de Salzbourg, deux Bavarois, un Anglais de Londres.
Le genre de vie est assez austère, vu la petitesse et la vétusté des locaux, le manque de chauffage et les privations qu'entraîne la pauvreté de la maison. Mais le P. Colin veille à ce que les scolastiques ne manquent de rien. Les exercices spirituels sont les mêmes qu'aujourd'hui, et le P. Colin tient à ce que ne règne aucune tension excessive, malgré la piété facilement expansive et sensible de l'époque.
Les études sont ce qu'elles peuvent, les professeurs n'ayant subi aucune formation spéciale. Mais le principal d'entre eux, le P. Favre, est un solide théologien. La philosophie se fait au petit séminaire de Belley jusqu'en 1846. Après cette date, elle est confiée au P. Antoine Martin, le futur supérieur général. Le cours de philosophie dure un an et celui de théologie trois ans, comme dans la plupart des séminaires de l'époque.. L'auteur suivi tant en dogme qu'en morale est Bouvier. Le P. Colin donne une grande place aux conférences, c'est-à-dire aux répétitions faites en groupe par les étudiants sous la direction d'un maître de conférences, ainsi qu'aux examens solennels et aux soutenances de thèses publiques à la fin de l'année. Il ne cesse d'insister sur l'importance de la science pour le prêtre (cf. JEANTIN, t. 4, pp. 103-123). En 1849, il institue un grand cours, c'est-à-dire une quatrième année de théologie consacrée à l'étude de la Somme de saint Thomas et confiée au P. David.
Sur le scolasticat de Belley, cf. JEANTIN, t. 2, pp. 247-260; sur les matières enseignées et la méthode suivie, cf. Acta S.M., t. 4, pp. 282-301.
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LA VIE DE COMMUNAUTÉ
Une fois achevée sa formation, le Mariste est employé dans l'une ou l'autre des maisons de la Société, et son existence varie évidemment suivant la nature de l'oeuvre où il se trouve. Mais la structure de la vie régulière reste constante dans toutes les maisons.
Le lever s'effectue, sauf exception, à quatre heures. On descend à la chapelle obscure où, après l'examen de prévoyance, est récité le premier des trois Salve regina qui scandent la journée mariste. Puis, après une pause durant laquelle on allume les lampes à l'huile, commence la récitation de la prière du matin en usage dans le diocèse. Plus tard, on décidera, par souci d'uniformité, de réciter partout la prière du diocèse de Lyon, qui, avec quelques modifications, est encore la nôtre. Après la prière, une heure d'oraison, qui peut se faire en cellule et pour laquelle le P. Colin recommande d'utiliser un livre et de suivre la méthode ignatienne. Puis, messes individuelles.
Avant le repas - généralement à midi moins le quart - l'examen particulier se fait en cellule, comme chez les Jésuites. C'est à la retraite de 1851 que le P. Colin décidera de le faire désormais à la chapelle. Durant le repas, on lit en principe tout le temps, sauf dans les collèges, où il y a Deo gratias durant la seconde moitié du repas. Les lectures habituelles sont l'histoire de l'Eglise de Rohrbacher, les vies des saints, des articles, mais aussi, pour la semaine sainte ou les fêtes, des sermons ou ouvrages de piété. Dans les maisons où il se trouve, le P. Colin donne souvent, pour sa part, le Deo gratias à la fin du repas et en profite pour commenter la lecture, se livrer à des récits sur les origines ou donner des avis et conseils. Parfois, le temps de la récréation se passe ainsi à écouter le père. On ne reçoit aucun étranger à table, au moins quand le P. Colin est là.
La nourriture est substantielle et sans doute plus abondante que dans la moyenne des maisons maristes aujourd'hui, au moins en France: deux ou trois plats, plus un ou deux desserts. Le vin est la boisson habituelle. Mais il n'y a ni liqueur ni café, et les extras des jours de fête se limitent à un verre et un dessert supplémentaires.
Après le repas, on se rend à la chapelle où l'on récite le second Salve regina, suivi d'une série d'invocations « pour la conversion des pécheurs et des infidèles ». C'est 1e P. Favre qui a donné à ces prières leur forme actuelle. Puis, l'on sort en récréation en commençant par réciter chacun en son particulier un Ave Maria. En récréation, tout le monde est mêlé, supérieur, jeunes, vieux.
La lecture spirituelle et la visite au saint sacrement ont lieu habituellement avant le repas du soir, lequel est suivi de la récréation, de la prière du diocèse et du dernier Salve regina. L'heure du coucher est évidemment variable, mais neuf heures semble être une bonne moyenne et, sauf motif de travail, on ne veille pas trop, pour économiser la chandelle.
En dehors des exercices de règle, de nombreuses prières et mortifications sont imposées par le supérieur général pour des intentions particulières: heures d'adoration, chemins de croix, jeûnes, disciplines. Chaque maison divise entre les pères la somme de ces exercices qui lui est demandée. Par ailleurs, de nombreuses dévotions personnelles spontanées, surtout à Marie, ont cours parmi les confrères: visites dans des sanctuaires marials, neuvaines. Plusieurs Maristes récitent trois chapelets par jour.
Dans le genre de vie, on s'efforce de vivre en pauvres, soit dans le vêtement (habits portés le plus longtemps possible), soit dans les cellules, conformes à la description de la règle, soit à table (couverts très communs, jamais plus de deux assiettes). En dehors des missions et ministères, on voyage très peu.
En général, la communauté respire union, gaieté et simplicité. Si des misères existent comme partout, le niveau de vie religieuse est très haut, comme en témoignent le petit nombre des départs et le fait que, durant tout le généralat du P. Colin, il n'y eut chez les pères aucun scandale.
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ADMINISTRAT'ION DE LA SOCIÉTÉ
Membre d'une communauté déterminée, le Mariste n'y limite pas son horizon. Il fait partie d'une société plus vaste; il sait qu'à chaque instant il peut être amené à changer de poste et de fonction. Sous le généralat du P. Colin, ce sens concret de l'appartenance à la Société est d'autant plus vif que la Société elle-même est restreinte et menée directement d'une manière extrêmement active et personnelle par un homme, le P. Colin.
N'ayant pas plus de religieux sous sa juridiction que n'en a actuellement le provincial de Nouvelle-Zélande, le P. Colin pouvait se permettre de gouverner la Société par lui-même, ce qui correspondait d'ailleurs à son tempérament. Son rôle personnel était si grand qu'en son absence les affaires souffraient et le conseil n'osait guère décider. Les Mémoires Mayet et la correspondance du P. Colin nous le montrent intervenant dans les affaires les plus diverses et jusque dans des détails de cuisine ou d'économat.
Le P. Colin était pourtant tout l'opposé de quelqu'un fermé aux idées d'autrui et prenant ses décisions seul. C'était au contraire l'homme de la consultation, aimant à connaître l'avis des autres et à débattre longuement les questions. Aussi bien le conseil se réunissait-il très fréquemment à Puylata et se trouvait-il largement ouvert même à des pères n'avant pas de responsabilité administrative. C'est en les faisant participer ainsi au conseil et en s'entretenant avec eux au réfectoire et aux récréations que le P. Colin formait peu à peu des confrères qui par la suite pourraient gouverner dans son esprit.
Prises au conseil ou par le P. Colin lui-même, les nominations, les décisions étaient communiquées aux intéressés soit par le P. Colin, qui, à partir de la seconde moitié de son généralat, usait fréquemment d'un secrétaire, soit par le « provincial », dont il va être question. Directes, fortes, précises, les lettres du P. Colin, exemptes de compliments et d'inutilités, traçaient à chacun la marche à suivre.
Par ailleurs, le P. Colin savait aller sur place se rendre compte et avouait que, quand il arrivait dans une maison, il y mettait de la vie. Pourtant, pour la visite administrative proprement dite, il recourait le plus souvent aux auxiliaires qu'il s'était choisis dans le gouvernement de la Société.
Les titres et attributions de ces auxiliaires ont varié au cours du généralat et ont toujours conservé une certaine souplesse, voire une certaine incohérence venant de la difficulté d'adapter la structure administrative prévue par les constitutions à la réalité d'une société encore restreinte.
Le 24 septembre 1836, le P. Terraillon avait été élu assistant et garda ce titre jusqu'à la fin du généralat du P. Colin. Durant trois ans, il n'y eut pas d'autre membre de l'administration générale mais, à la retraite de 1839, le P. Colin, au moment où il s'apprêtait à aller lui-même résider à Puylata, nomma la première administration complète: P. Champagnat, supérieur des frères maristes et assistant; P. Pierre Colin, supérieur des soeurs et assistant; PP. Terraillon et Maîtrepierre, assistants; P. Humbert, économe général. Ce dernier gardera son poste durant tout le généralat et au delà.
En 1841, le P. Maîtrepierre se voyait donner le titre de provincial et visiteur et le P. Poupinel celui de procureur des missions. En 1843, la charge de visiteur passa au P. Epalle, le P. Maîtrepierre restant encore un an provincial avant de céder, en 1844, la place au P. Eymard, qui l'occupa jusqu'en 1846. A cette date, le P. Lagniet devint provincial et le P. Eymard assistant-visiteur. Finalement, en 1852, furent nommés deux provinciaux distincts, un pour Lyon (le P. Favre) et un pour Paris (le P. Lagniet). Le 4 avril 1853, la séparation des deux provinces était officielle.
Jusqu'en 1852, la charge de provincial équivaut pratiquement à celle de vicaire général ou de substitut du P. Colin durant ses absences ou pour les affaires d'administration. courante. Le P. Lagniet, notamment, jouera dans ce poste un grand rôle. Quant au visiteur, il est chargé, comme son nom l'indique, de la visite des maisons, tâche qui ne comporte pas de responsabilité administrative directe, mais qui est fort importante et délicate, chaque religieux devant alors faire au visiteur, comme chez les jésuites, une ouverture de conscience complète portant même sur les fautes internes. Ce n'est qu'en 1860 que le Saint-Siège modifiera chez nous cette législation du compte de conscience.
Notons enfin que le contact entre les religieux et le supérieur général ou ses aides est entretenu par une abondante correspondance, les confrères relatant volontiers leur missions ou autres faits édifiants dont ils ont été les témoins.
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LES RETRAITES GÉNÉRALES
Très caractéristiques de la vie de la Société sous le généralat du P. Colin étaient les retraites générales qui, chaque année au mois d'août ou septembre, groupaient pour une semaine l'ensemble des confrères, à l'exception de ceux des maisons du sud-ouest et de Paris, trop éloignées, qui à partir de 1844 eurent leur retraite à part.
Dans la pensée du P. Colin, outre la fonction individuelle et ascétique de toute retraite, ces réunions avaient pour but de permettre aux confrères d'acquérir et conserver le même esprit, et il leur accordait la plus grande importance.
Les méditations comportaient un exposé de vingt à trente minutes suivi d'une heure entière de prière personnelle. L'office et le chapelet étaient récités en commun, mais les retraitants ne célébraient pas la messe et même, en esprit de pénitence, s'abstenaient de recevoir la communion durant les premiers jours.
En plus du confrère chargé des exposés de méditation, un autre, souvent le P. Maîtrepierre, était chargé de l'explication de la règle et un autre encore de conférences sur les missions ou la confession. Plus d'une fois, le P. Colin se réservait tel ou tel exercice pour donner lui-même des directives sur les missions ou autres avis.
Au réfectoire, on lisait la vie de missionnaires jésuites, un traité de Rodriguez ou L'esprit de saint Vincent de Paul. Durant les récréations après les repas, le silence n'était pas imposé, afin que les confrères qui se retrouvaient pussent échanger des nouvelles ou faire connaissance avec les nouveaux profès.
La veille de la clôture, l'a liste des nominations pour l'année était proclamée. Le jour même de la clôture, les novices, admis auparavant à la profession lors d'une réunion spéciale des profès, prononçaient leurs voeux de religion, et les autres les renouvalaient au cours de la messe. Puis, dans la salle des exercices, avait lieu le sermon sur la sainte Vierge, donné par un des plus jeunes pères, et la consécration, faite par un des plus anciens. C'était vraiment le point culminant dc la retraite et le moment où étaient vécues le plus intensément les réalités qui sont à la base de la vocation mariste. A partir de 1845, à la consécration à Marie fut ajoutée une consécration à saint Joseph.
Ajoutons enfin que les meilleures pages des Mémoires Mayet sont composées d'instructions données par le P. Colin durant ces retraites générales, dont l'importance pour la définition de l'esprit mariste fut ainsi capitale.